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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Directrice du jardin d'enfants de La Seyne et femme d'un électricien des chantiers dès 1950

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


Présentation du témoin Écouter cette séquence

Je suis née dans une petite maison au quartier St Anne, où habite maintenant la deuxième de nos filles. 
J’ai toujours vécu à La Seyne, à part de petits épisodes pendant la guerre. Je suis partie un an et demi à cause des événements. (2 fois)
Je suis née en 1931, je suis fille unique.


Les parents Écouter cette séquence

Je suis née avant la guerre. En 1939 mon père a été mobilisé et il a été rapidement fait prisonnier. 
Pendant la guerre, il n’y avait pas grand chose à manger. Avec mon père prisonnier, ma mère a été obligée de retravailler. Avant de se marier elle travaillait au Crédit Lyonnais et donc elle y a repris du service.
Mon père travaillait à la mairie. Il a fait toutes sortes de choses à la mairie ! Il a fait tous les bureaux de la mairie et il a terminé directeur des services techniques. Il s’est arrêté à 65 ans.


L'exil pendant la deuxième Guerre Mondiale Écouter cette séquence

Ma mère travaillait au crédit Lyonnais et toutes les banques françaises, pendant la guerre, s’étaient repliées à la Bourboule, dans le Puy-de-Dôme. On a demandé à ma mère si elle voulait partir travailler au siège du Crédit Lyonnais, à la Bourboule. Puisque mon père était prisonnier, on n’était que toutes les deux, elle a accepté.
En plus, la Bourboule était réputée pour son air pur. C’était un centre de cures pour les enfants.
On a donc vécu un an et demi à la Bourboule, toutes les deux. Ça devait être en 1940. C’était pas mal. On était logées dans une pension de famille qui était réquisitionnée pour les banques. J’allais à l’école là-bas.
 
On est revenues après un an et demi et quand il y a eu les bombardements, il a fallu évacuer tous les enfants.
Ma mère n’a pas voulu me laisser partir seule. Nous avions des amis dans l’Isère qui nous ont proposé de venir chez eux et nous sommes parties en Isère. C’était en 1943 et mon père a été libéré à la fin de cette année-là.
Ma mère est rentrée et moi je suis restée dans l’Isère, dans un pensionnat, pendant encore toute une année scolaire.
Je suis revenue à la fin de la guerre.


Le parcours scolaire Écouter cette séquence

Les parcours scolaires, à l’époque, étaient en dents de scie.
Ici, j’avais fait la sixième. J’étais en cinquième quand je suis partie dans l’Isère, où j’étais dans un pensionnat religieux.
On m’y a fait redoubler la sixième parce que l’on ne savait pas quel était mon niveau.
Comme les classes étaient doubles, qu’il y avait sixième et cinquième en même temps, je suivais les cours des deux.
Et, l’année d’après, on m’a fait passer en quatrième. On ne m’a pas fait faire la cinquième.
En quatrième aussi le niveau était double. Il y avait quatrième et troisième en même temps.
Et quand je suis revenue ici, à Curie, je suis rentrée en troisième.
Officiellement, j’ai fait deux sixièmes et deux quatrièmes, ou deux troisièmes… Enfin c’était tout biscornu à cette époque. On faisait comme on pouvait, avec les moyens du bord.
J’ai passé le brevet à l’école Curie et je suis rentrée à l’école Martini qui était une école primaire qui faisait aussi collège technique et collège moderne.
Il y avait les filières technique et moderne. C’était pour ceux qui ne choisissaient pas le latin.
Il y avait moderne et classique. Classique, c’était ceux qui faisaient du latin et il fallait aller à Toulon.

A Martini, c’était monsieur Malsert qui était directeur. On a donné son nom à l’école François Durand, alors qu’on aurait dû donner son nom au lycée Beaussier, car il était le précurseur du lycée Beaussier qui n’existait pas à l’époque.
Il avait décrété que les petits seynois étaient assez intelligents pour faire la seconde et la première en une seule année. En un an on préparait la première partie du baccalauréat.
Le baccalauréat se passait en deux parties : la première partie, on présentait toutes les matières à l’écrit et à l’oral et après, pour la deuxième partie, on présentait aussi toutes les matières à l’écrit et à l’oral.
Ce n’était pas comme maintenant. J’ai donc passé le premier bac à la fin de cette année double.

Je suis ensuite partie à Toulon, mais pas à l’école classique. Les filles qui voulaient faire du classique allaient au lycée Bonaparte à Toulon. Pour nous, filles de La Seyne, les filles de Bonaparte étaient des filles de bourgeois, des filles d’officiers de marine … Ça ne nous plaisait pas du tout.
Avec deux de mes amies, on a décidé de faire Math élém ce qui correspond aujourd’hui à la filière scientifique.
A l’époque il y avait les lettres c’était le classique, ou les maths ou les sciences : il y avait les mathématiques élémentaires ou sciences expérimentales.
On ne parlait pas d’orientation scolaire, à cette époque-là. Chacun faisait selon son idée.
Je me suis donc retrouvée au lycée Peiresc à Toulon et nous étions toutes les trois dans la même classe de mathématiques élémentaires. Trois filles au milieu d’une vingtaine de garçons. C’était un lycée de garçons où ils acceptaient les filles parce qu’il n’y avait pas de lycée de filles pour les maths et les sciences. Il y avait beaucoup de filles en sciences expérimentales, mais en maths il n’y en avait pas beaucoup.
Pour tout dire, j’étais plus douée en français qu'en maths. Donc j’avais eu ma première partie de Bac à 16 ans et j’ai mis trois ans pour passer la deuxième, que j’ai donc eue à 19 ans. Mais j’ai quand même eu mon bac mathématiques qui m’a beaucoup servi par la suite pour apprendre aux petits à compter jusqu’à dix…

Après le Lycée, je ne savais pas du tout vers quoi m’orienter et c’est ma mère qui a découvert qu’il y avait, à Marseille, une école qui préparait le métier de jardinière d’enfants. Le terme exact était jardinière d’enfants éducatrice. Après, cela s’est appelé éducateur de jeunes enfants, lorsque les garçons ont été autorisés à faire cette formation.
Je suis rentrée dans cette formation à l’âge de mes vingt ans.
J’étais restée une année sans suivre d’études. Je prenais de temps en temps des cours de coupe et de couture.
Le problème était que j’étais très timide. Ma mère voulait que je fasse assistante sociale, mais il fallait commencer par être infirmière. On faisait les études d’infirmière à la Croix Rouge et d’emblée on vous faisait faire des stages dans les hôpitaux.
J’étais très émotive aussi et je ne me voyais pas dans un hôpital avec des responsabilités et puis il est vrai que quand on est stagiaire on nous fait faire un peu n’importe quoi.
J’aurais pu également, comme plusieurs de mes amies, faire des suppléances pour être institutrice. Soit après le brevet on rentrait à l’école normale, on faisait 3 ans de formation, soit après le bac on faisait 5 ans de suppléances. C’est-à-dire que l’on s’inscrivait et l’on vous envoyait dans n’importe quelle classe, dans n’importe quel coin du département, pendant 5 ans et après ces 5 ans on devenait institutrice.
Il y a une de mes amies qui était à la Garde-Freinet. Elle avait également une vingtaine d’année.
Elle était responsable de garçons de 14 ou 15 ans et l’un d’entre eux lui a manqué de respect et ça lui est parti tout seul, elle lui a mis une gifle et elle s’est dit mon Dieu, s'il me la retourne !
Et moi qui étais timide, je me disais jamais je ne pourrais faire une chose pareille.
En plus, n’ayant pas de frères et sœurs, je n’ai jamais eu d’enfants autour de moi.
Quand ma mère a vu cette annonce de jardinière d’enfants, j’ai trouvé que, effectivement, cela me conviendrait de m’occuper de petits, de jeunes enfants.
Il y avait beaucoup de matières artistiques, de psychologie enfantine et ça me convenait très bien.
Je suis partie à Marseille pendant 2 ans, suivre les cours de cette école.
J’étais très contente. On avait des cours théoriques et l’on faisait des stages sur Marseille et à la fin du stage on venait nous examiner. Il fallait que l’on organise une matinée au jardin d’enfants.
La première évaluation était juste avant Noël. J’avais attrapé un rhume terrible et l’on m’avait mis une bonne note, mais l’on m’avait reproché d’avoir l’accent du midi.
Le reste de mes 2 ans donc, je me suis efforcée de perdre mon accent. Mais quand je suis revenue à La Seyne et quand j’ai commencé à travailler j’ai vite récupéré mon accent. J’ai donc eu mon diplôme en Juin 1953.


La création et le développement du jardin d'enfants à La Seyne Écouter cette séquence

Mon père travaillait à la mairie de La Seyne, sous Toussaint Merle.
A l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’employés. Pas comme maintenant.
C’était une petite mairie. Tout le monde se connaissait.
En plus, mon père a gravi tous les échelons : il avait été au service des marchés, à la comptabilité et toutes sortes de services.
Il connaissait bien le maire qui lui a demandé ce que je faisais et mon père lui a répondu que je préparais le diplôme de jardinière d’enfants.
C’était formidable. Il y avait beaucoup de choses à faire à La Seyne, sur le plan social et il manquait des écoles maternelles.
En 1953 il y avait les élections et dans le cadre d’une campagne électorale, ils ont décidé de créer un jardin d’enfants. C’est Philippe Giovannini, le maire qui a succédé à Toussaint Merle, qui me l’a dit. Je m’étais plainte du jardin d’enfants qui était mal installé et il m’a avoué qu’il avait été juste créé pour la campagne électorale.
C’était vraiment un objet pour la campagne électorale et le fait d’avoir une jardinière d’enfants à mettre dedans leur a sûrement donné l’idée de le faire.
Les mairies communistes privilégiaient le social et ils faisaient des centres sociaux etc.…
Je n’ai cependant pas pris part à cette campagne.
Ils avaient commencé les travaux en 1952, en faisant un parc pour enfants avec des manèges, un bassin, etc.… qu’ils ont transformé en jardin d’enfants. Ils l’ont inauguré en 1953. Je n’avais pas encore fini mes études, mais ils savaient qu’ils avaient une jardinière à mettre dedans. Mais il n’y avait que des jeux, pas de local, ni de cabinets.
Quand j’ai fini mes études, les choses sont restées comme ça.
Ils avaient nommé 2 jeunes filles qui étaient au service des écoles maternelles. Elles prenaient tous les enfants qui se présentaient et toute la journée elles les surveillaient.
Quand la mauvaise saison venait, il fallait fermer parce qu’il n’y avait pas d’abris. Il n’y avait rien, donc elles repartaient chacune dans son école maternelle.
Donc moi, quand j’ai eu mon diplôme, il y avait l’école maternelle Jean Jaurès qui avait été sinistrée et qui avait été rebâtie à côté de l’école primaire Emile Malser, à côté des bureaux de l’EDF dans des préfabriqués.
Il y avait 10 classes de 50 élèves, avec une cantine et la directrice, Mme Berson, n’était pas déchargée de classes.
Vous imaginez le travail. Il fallait qu’elle mène sa classe, qu’elle gère l’école, la cantine -parce qu’il n’y avait pas de cantine centrale, chaque école avait sa cantine-, le personnel…
Elle était débordée et elle avait demandé à la mairie qu’on lui accorde quelqu’un (dans sa classe) pour la décharger.
On m’a donc demandé si je voulais bien travailler à l’école Jean Jaurès, pour aider la directrice parce que l’on ne pouvait pas m’employer au jardin d’enfants, puisqu’il n’y avait pas de locaux.
Donc, le jour de la rentrée, la directrice m’a installée dans la classe. Elle m’a dit comment ça se passait et je me suis occupée de cette classe de 50 élèves de moyens, c'est-à-dire âgés de 4 à 5 ans.
Ça se passait très bien. Par contre, dans la classe d’à côté il y avait une jeune fille qui venait de l’Ecole Normale, à qui on a donné les tout-petits, âgés de 3 à 4 ans. Elle a tenu un trimestre. Elle est partie en dépression.
A cette époque-là, on ne demandait pas l’avis des institutrices, parce qu’il manquait du monde. Alors on les mettait là où il y avait besoin.
Elle n’était pas préparée pour s’occuper de petits de 3 ans.
Pendant toute une année scolaire, donc, j’ai travaillé à l’école Jean Jaurès.
Aux grandes vacances le jardin d’enfants avait repris. On y avait remis 2 femmes de service et comme elles avaient travaillé toute l’année, il fallait qu’elles prennent leurs congés annuels elles aussi. Donc je les ai remplacées à tour de rôle.
Ce jardin d’enfants était dans le jardin de la ville Aristide Briand. Si vous y allez aujourd’hui vous y verrez encore le petit pont tout démoli (elle sort des photos qu’elle décrit). 
[D’après sa description, le jardin était sur le port et elle pouvait voir les cars partir des chantiers]
« En 1984, on pouvait voir les 16 cars qui partaient des chantiers pour aller à Paris. C’était au moment où les chantiers commençaient à fermer. »
[Elle décrit à nouveau les photos.]
« Si vous allez aujourd’hui dans le parc de la navale, vous pouvez voir le dauphin qui était dans le jardin d’enfants…
Sur cette photo en 1982, on avait fait déguiser les enfants en animaux pour le carnaval. On avait défilé dans l’esprit frondeur et on avait mis une pancarte avec écrit : le jardin d’enfants vu par les administrations.
ça avait fait un foin pas possible. »


La rencontre avec son mari Écouter cette séquence

Je l’ai rencontré à la fin de la première année scolaire à Marseille.
Je l’ai rencontré au mariage d’une cousine où je n’avais pas envie d’aller et où il n’aurait pas du être, puisqu’il était au service militaire et il avait failli être consigné puisqu’il était très frondeur et on avait failli lui sucrer sa permission. On est ensuite resté pratiquement un an sans se voir.
Il était de Paris et il a connu la famille de ma cousine qui se mariait pendant la guerre, lorsqu’il s’est réfugié dans la Drôme.
Ils ont tellement sympathisé que ces gens-là lui on dit de venir à La Seyne au lieu de repartir à Paris, parce qu’il y faisait beau et qu’il y avait du travail avec les chantiers.
Il est venu avec son parrain et sa marraine. Sa mère est morte pendant la guerre.
Il a donc été invité au mariage de cette cousine et l’on s’est rencontrés.
Nous avons trois enfants, deux filles et un garçon. Une fille en 1959, une autre en 1960 et notre fils en 1962.


Les débuts du jardin d'enfants Écouter cette séquence

A La Seyne la plupart des papas du jardin d’enfants travaillaient aux chantiers et donc notre vie était un peu calquée sur la vie des chantiers.

Le jardin d’enfants a pu ouvrir puisqu’on nous a attribué un local [elle remontre les photos]. C’était à la place de l’ancien dispensaire dans une petite maison cubique.
C’était un dispensaire pour les visites du travail qui ne servait plus. Donc on nous l’avait attribué comme local, pour que les enfants puissent rentrer pendant la mauvaise saison. Mais il n’y avait toujours pas de cabinets. Quand ils avaient envie, il fallait les mener aux cabinets publics qui étaient au fond du jardin public et l’hygiène était déplorable. Les enfants avaient peur, on n’osait pas les y mener.
Donc, on a fait le « trou du caca » au fond du jardin, le plus loin possible et les petits allaient y faire leurs besoins et tous les soirs on le rebouchait.
L’organisation du jardin n’était pas aboutie et l’on m’y avait bombardée directrice, alors qu’il fallait minimum 5 ans d’expérience. Mais pendant trois ans j’ai été payée comme femme de service. Tout comme une collègue qui était prof de violon, qui est restée payée comme femme de service pendant plusieurs années. Ça marchait comme ça.
Ils avaient beaucoup d’idées sociales à la mairie. Ils mettaient les choses en route et c’était aux gens qui étaient là de faire marcher, dans n’importe quelles conditions.
Quand on a ouvert le jardin d’enfants, on n’avait rien. On avait des petits bancs et des couvertures de l’armée. On nous avait donné du papier pour dessiner. Alors, pour faire dessiner les petits, on les asseyait sur les couvertures et on les appuyait sur les bancs.
Au niveau du fonctionnement, les enfants venaient quand les écoles maternelles étaient fermées, ou quand on les y refusait. On recevait même les enfants malades. Certains arrivaient avec des boutons, ils avaient la varicelle. On ne les voulait pas à l’école et on nous les mettait au jardin d’enfants. C’était très folklorique.
Il a bien fallu instaurer des règles et moi je n’étais pas formée pour être directrice.
On devait accueillir des enfants de 3 à 6 ans, mais ce n’était pas forcément respecté puisqu’on ne demandait pas les papiers. C’était le premier jardin d’enfants municipal de France, ça n’existait pas. Les filles qui travaillaient avec moi étaient des femmes de ménage et moi, comme on ne savait pas à quoi me rattacher, on m’avait donné la même échelle indiciaire que le conservateur du cimetière. J’étais dans la catégorie des conservateurs de cimetière. Il a fallu se battre toute la vie pour faire avancer les choses.


L'entrée aux chantiers de son mari Écouter cette séquence

Il est rentré aux chantiers un peu avant de faire le service militaire. Il n’était pas d’ici, il était de Paris.
Il a été élevé par son parrain et sa marraine. Il est né de père inconnu et sa mère, qui était tuberculeuse, est morte pendant la guerre.
Il s’est donc réfugié dans la Drôme, où il a été élevé par son parrain et sa marraine.
Il est né en 1931.
Dans la Drôme il a rencontré des Seynois qui l’ont convaincu de venir. Il y faisait beau. Il y avait du travail.
Ils sont donc venus à La Seyne et il est rentré, à 15 ans, aux chantiers.
Son père adoptif avait trouvé du travail aux chantiers et il a dit : « J’ai un fils est-ce qu’on peut l’embaucher ? » On lui a demandé : « Il est grand votre fils ? » Il a répondu « Oui » alors on l’a embauché comme électricien pour tirer les câbles à bord des bateaux.
C’est comme ça qu’il est devenu électricien, il a appris sur le tas.
Son père adoptif, lui, travaillait aux bureaux, à la comptabilité je crois...

Ils sont ensuite partis 2 ou 3 ans en Nouvelle Calédonie, car sa mère adoptive était née là-bas, donc ils sont partis à Nouméa faire fortune. Mais ils n’étaient pas faits pour exploiter les autres. Alors, ils sont revenus au bout de 3 ans, plus pauvres que quand ils étaient partis.
Ils sont rentrés aux chantiers en 1950 et, à partir de là, il est resté aux chantiers.
Il a été formé sur le tas. Il n’avait pas de diplôme, ni de formation d’électricien.
Lui, il aurait voulu être cuisinier. C’est ce qui lui plaisait. Il est dyslexique. Il confondait les lettres. Mais, à l’époque, on ne s’occupait pas de ces genres de problèmes. Alors, à l’école, on l’a pris pour un âne ou un fainéant et il n’a même pas passé son certificat d’études.
Au plan écrit, il n’avait donc aucune formation non plus. Par contre, il a toujours été révolté par l’injustice. Il est donc rentré à la CGT, qui était le seul syndicat qui était actif à l’époque.


La rencontre avec son mari Écouter cette séquence


Un mari syndicaliste aux chantiers Écouter cette séquence

Quand il était jeune, il était très maigre et il avait de grands yeux noirs qui vous fusillaient. D’ailleurs, c’est ce qui m’a attirée chez lui.
Il était entier et un peu fou. Il était prêt à tout pour défendre les gens. Il était un peu illuminé si vous voulez…
Il est donc vite monté dans le syndicat. Il est vite devenu un des meneurs, mais il n’était pas communiste.
Il était chrétien. Moi aussi et c’est comme ça que l’on s’est retrouvé, d’ailleurs, à la messe le dimanche à l’église de La Seyne.
Il était prêt à affronter n’importe quoi. Quand il estimait qu’une cause était juste, il était prêt à tout pour la défendre.


Etre femme d’un ouvrier syndicaliste avant 1968 Écouter cette séquence

On ne parlait pas trop des chantiers avec les enfants. Avec les mamans qui étaient mariées avec des travailleurs des chantiers, on en parlait quand il y avait des luttes.
Surtout que mon mari était au syndicat et les réunions syndicales, à cette époque là, elles se faisaient après l’heure de travail.
Avant 1968, les syndicats n’avaient pas le droit de cité dans l’entreprise, donc les ouvriers et les syndicalistes se voyaient après.
A 7 heures, il finissait le travail et il rentrait à 9h ou 10h, après les réunions.
Quand on avait les enfants jeunes, j’en avais ras-le-bol parce que, quand il rentrait, les enfants étaient couchés et il ne les voyait pas de la semaine pratiquement.
Quand il arrivait et qu’il me disait pourquoi il s’était battu, qu’il y avait des tracts à faire ou un article dans le journal du syndicat qui s’appelait le métallo, il mettait ses idées sur le papier, dans son charabia à lui parce qu’il n’était pas capable d’écrire correctement et c’est moi qui lui écrivais les articles.
Je me disais « je ne vais pas me plaindre. Moi, je travaille au jardin d’enfants. J’y suis bien. Je m’entends bien. Ça marche bien. Quand il y a des problèmes, on les affronte ensemble et je ne vais pas lui faire des reproches parce qu’il rentre tard, parce qu’il a telle action à mener. Je me mettais là et je faisais les articles avec lui et les tracts.
Beaucoup d’enfants du jardin avaient des papas qui travaillaient aux chantiers.


Les manifestations et le tour de la ville avec un haut-parleur Écouter cette séquence

Le chantier avait de gros problèmes, je ne sais plus trop. Les CRS étaient en cantonnement dans le parc Aristide Briand, autour du jardin d’enfants et les petits qui s’amusaient dehors étaient attirés par les hommes en uniforme. Ils avaient envie de voir ce qui se passait et les hommes s’embêtaient. Ils n’avaient rien à faire. Ils allaient voir les petits, alors moi je leur disais : « Ces petits, leurs pères travaillent aux chantiers et, si on vous en donne l’ordre, vous allez devoir les tabasser. Vous n’avez pas besoin de parler à ces enfants. » Et les petits, je leur disais de rentrer.
Je me rappelle qu’il fallait expliquer aux femmes, parce que ça avait duré un temps et qu’elles s’impatientaient parce que la grève, la lutte c’est bien beau mais la paye ne rentrait pas.
On m’avait donc demandé de participer à une tournée dans une voiture avec les hauts-parleurs et l’on faisait le tour de la cité et de la ville. Je devais parler dans le haut-parleur et expliquer aux femmes pourquoi il fallait qu’elles tiennent bon.
Alors, moi qui étais très timide, je savais m’exprimer avec les petits, mais quand il fallait parler aux gens et m’adresser à l’ensemble des parents, j’étais un peu dans tous mes états, alors pour parler dans la voiture avec le haut-parleur… je m’en rappellerai toute ma vie...


Les engagements religieux et politiques du mari aux chantiers Écouter cette séquence


Les conditions de travail aux chantiers Écouter cette séquence

Quand ils travaillaient à bord, c’était très dur. Dans les bateaux en tôle, l’hiver il faisait froid et l’été il faisait chaud. Dans les ateliers ce n’était pas facile non plus.
Mon mari était devenu dépanneur au service d’entretien, alors il allait là où on l’appelait dans les chantiers et il allait dépanner toute sorte de machines.
Au niveau des horaires, il rentrait le matin à 7h et donc toute la ville était réveillée par la sirène qui sonnait à 6h45 et 6h55. A la seconde même il fallait qu’ils soient dans le chantier.
Il y avait une heure et demi de pause à midi et le soir ils finissaient à 7h. Mais, souvent, les ouvriers faisaient des heures supplémentaires, voire des nuits.
Mon mari était contre les heures supplémentaires, donc il n’en faisait pas.
Si tous les ouvriers faisaient des heures supplémentaires, ça empêchait d’embaucher d’autres personnes qui voulaient travailler. Ça faisait déjà de sacrées journées, ils n’étaient pas aux 35 heures.

Il y avait eu des accidents même mortels, surtout à bord des bateaux.
Quand il allait dans les ateliers et qu’il voyait des ouvriers qui s’exposaient inutilement, il leur disait : « Mais tu ne peux pas faire ça. Il faut te protéger. »
Alors il s’accrochait avec les chefs d’atelier parce que, eux, ils voulaient que le travail avance vite.
Si un ouvrier grimpait sans s’attacher et sans se protéger, ce n’était pas normal.
C’était le rôle du syndicaliste de veiller à ce que les ouvriers travaillent dans des conditions sécuritaires.


Le jardin d’enfants Écouter cette séquence

Je faisais partie de la commission paritaire. Je défendais mes filles, mes aides. Je ne défendais pas que mon personnel. Je défendais tous ceux de ma catégorie. Je ne sais plus trop ce qu’était ma catégorie. Je me souviens que j’étais dans la même catégorie que celle des surveillants de cimetière par exemple.

On avait eu le vieux local qui servait à la médecine du travail. Il n’était pas très confortable. A l’extérieur on avait une arrivée d’eau froide avec un bac pour laver les mains des enfants.
La municipalité avait voulu créer cette structure pour palier le manque de maternelles. Il n’y avait que 2 maternelles à La Seyne : la maternelle Jean Jaurès qui avait 10 classes de 50 enfants et la maternelle Ernest Renan qui était à la place de la mairie sociale où il devait y avoir le même nombre d’enfants, c’était le tarif, 50 enfants par classes dans les écoles maternelles à cette époque là.
Le jardin d’enfants avait été créé sur la base d’un parc pour enfants avec des manèges, un toboggan, un bassin, un petit pont qui était joli comme tout, des fleurs, deux sablières et c’est tout. Ni sanitaires, ni local, rien.
Au début, les enfants venaient à la belle saison. Quand ils voulaient aller aux toilettes, il fallait les mener aux toilettes publiques, au fond à côté du foyer des anciens. C’était repoussant et puis c’était tout au fond du jardin. Le temps d’y aller, ils avaient déjà fait dans la culotte.
Quand il pleuvait, même si il pleuvait rarement à la belle saison, on pouvait s’abriter dans le cercle nautique, le joli petit bâtiment au bout du quai. Au même niveau que le monument aux morts, il y a un joli petit bâtiment blanc là. Il s’appelait le cercle nautique, je crois…
Quand il pleuvait, on avait permis aux filles d’aller s’y abriter avec les enfants. Sinon on habillait le toboggan avec des couvertures. C’était un grand toboggan. On y mettait des couvertures de chaque côté et les petits se mettaient à l’abri sous le toboggan.
Ensuite, dès qu’il faisait mauvais, il n’y avait plus personne. Les enfants partaient à l’école maternelle et les jeunes femmes retrouvaient leurs postes de femmes de service dans les écoles maternelles.
En octobre 1954, on nous a octroyé ce vieux local qui servait à la médecine du travail.
Je mémorise grâce à notre mariage. On s’est mariés en Juin 1955, à la fin de ma première année de jardin d’enfants. C’était la première année où il y avait le local.
C’était le premier jardin municipal d’enfants en France. Il y en avait dans les écoles privées, dans les entreprises, dans les usines mais pas dans les mairies? Il y avait quelques crèches municipales, surtout dans la région parisienne. Mais, même dans la région parisienne, il n’y avait pas de jardin d’enfants municipal, ça n’existait pas.
C’est sûrement le maire qui en a eu l’idée. Mon père travaillait à la mairie et le maire, Toussaint Merle, prenait des nouvelles de la famille et mon père parlait très facilement et donc il avait dû lui dire « ma fille fait des études de jardinière d’enfants à Marseille, elle aura fini en 1953 et le maire a dû se dire : « Voilà, nous allons créer un jardin d’enfants pour la ville.


Les femmes dans les années 50 à La Seyne Écouter cette séquence

A cette période là, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui travaillaient.
A la mairie, certains postes leur étaient réservés, femmes de services, dactylos, secrétaires, etc… Mais il ne fallait pas qu’elles sortent de leur place.
Au centre médico-social il y a eu une directrice. Mais c’était un peu plus tard.
Mes aides, qui étaient femmes de service, alors que la mairie avait créé une échelle particulière aux femmes de service des écoles maternelles, un peu plus reluisante que celle des femmes de ménage. On la leur a refusé car elles n’étaient pas en maternelle mais au jardin d’enfants.
En somme, je n’avais pas besoin de femmes un peu plus qualifiées que des balayeuses.
Je me suis battue. On a fini par les assimiler, pas à femmes de service en maternelle mais à aides OP1, c’est-à-dire pas dans l’administratif, mais dans le technique.
OP1 signifiait Ouvrier Professionnel de première catégorie, mais comme c’étaient des femmes, on leur a appliqué 10 % d’abattement sur leur salaire. Et oui, pour les autres c’était logique qu’elles ne gagnent pas autant que les hommes qui faisaient de lourdes manœuvres, alors que l’on partageait tous les travaux. Il n’y a avait que la responsabilité que j’endossais de par mon statut de directrice.
Pour me battre, je suis allée à la commission paritaire et au bout de quelques années on a fini par leur supprimer l’abattement.

Autre exemple : mon père, qui était quand même un brave homme, avait une secrétaire qui se rongeait les ongles et il se permettait de lui taper sur les doigts avec une règle en fer. Il en parlait à ses amis comme pour se vanter. C’était pour lui une manière de l’éduquer, c’était pour son bien.

Moi, avec mes supérieurs hiérarchiques cela m’arrivait rarement d’aller les voir mais j’avais beaucoup de mal. J’y allais quand j’avais des choses à réclamer.
A cette époque, la mairie du centre ville avait été détruite et les services étaient répartis dans la ville. Le bureau du maire et des adjoints était dans la rue d’Alsace, là où il y a le bureau d’hygiène aujourd’hui. On rentrait du côté de la rue d’Alsace, il fallait monter à l’étage. D’ailleurs, c’est là que l’on s’est mariés, il y avait la salle des mariages.
Une fois, j’ai monté l’escalier et une fois arrivée en haut je me suis assise sur la dernière marche pour respirer avant d’entrer. Ils me recevaient bien, mais bon…
J’allais aussi voir l’adjointe aux œuvre sociales. S'il arrivait un accident au jardin d’enfants on n’avait pas le matériel pour. Alors, j’étais allée demander quelque chose pour les premiers soins.
Une fois, il y a eu un accident. Alors avec ma collègue, Maguy Dalmaso, on y est allées à deux et elle nous avait reçues.
Elle m’a dit : « Alors ma cocotte ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Oh mais il n’est pas mort ? Alors ça va ! » Dans le sens où ce n’était rien, un enfant qui tombait et qui s’ouvrait le front, aux bureaux qu’est-ce qu’ils en avaient à faire ?
Nous, on se bataillait pour le faire soigner. On l’amenait chez le docteur, au centre médico-social et après on allait leur raconter ce qu’il s’était passé. Il fallait bien, c’était nos patrons.
Selon ce qu’on avait envie de faire, on ne leur demandait pas, on faisait : on allait promener, on rangeait les enfants deux par deux, un grand avec un petit ou deux moyens ensemble et on les mettait en rang. Chacun tenait le tablier de celui de devant et ça faisait une chaîne. Moi, je me mettais devant. Je tenais la main de celui de devant et ma collègue suivait derrière pour surveiller et on promenait.
Alors on allait au marché, à la Dominante, au fort Napoléon à l’époque où il n’y avait rien de bâti et qu’on pouvait se promener dans la forêt. On leur faisait faire le tour du port et chaque fois qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire comme, par exemple, la locomotive du train qui était tombée dans la mer, ça leur plaisait. Comme ils voyaient passer le petit train depuis le jardin d’enfants, je les emmenais voir le petit train de plus près.


Photographies du jardin d'enfants Écouter cette séquence

C’était des photos que l’on avait fait agrandir pour une exposition, les 25 ans du jardin d’enfants…
C’était le défilé du carnaval avec des mamans qui nous accompagnaient…
Voilà l’entrée des classes…
Celles-ci sont plus récentes, elles sont de 1984, c’était le goûter de Noël.
Celle-ci s’appelait C., elle était mignonne et rigolote. Elle était un peu retardée, elle était très conditionnée.
A l’intérieur on les faisait ranger leur chaise et, en été, quand il y avait les mamans dehors, elle se levait du banc et elle se disait elle-même : « Range ta chaise ! ». Elle était vraiment conditionnée.


Le déclin des chantiers, les grèves de mai 1968, le logement Écouter cette séquence

A l’époque du déclin des chantiers, c’était en 1980-1985, du fait que l’on avait la cantine, on n'avait plus que des enfants dont les mamans travaillaient et donc il n’y avait pas tellement de mamans qui travaillaient aux chantiers. Il y avait des femmes de la mairie, des commerçantes… Il n’y avait déjà plus tellement de femmes qui travaillaient aux chantiers puisqu’il y avait eu des dégraissages et dans les couples qui travaillaient aux chantiers, on licenciait la femme en premier.

Mon mari était à fond dans la lutte.
Au jardin d’enfants, on n’en parlait pas tellement. Quant aux collègues de travail, une était mariée avec un cheminot, il y en avait deux qui étaient célibataires…

Par contre, on a vécu fortement les grèves de mai 1968. Tout le monde faisait grève et le jardin d’enfants était réquisitionné. On récupérait les enfants des mamans grévistes. La mairie faisait grève, les chantiers faisaient grève.
Donc nous, on récupérait les enfants puisque les écoles aussi faisaient grève. Alors, le jardin était rempli d’enfants de tous les âges. Les femmes après, une fois qu’elles avaient déposé leurs enfants, elles allaient à la mairie et elles se posaient, elles papotaient et les enfants étaient au jardin, elles n’en avaient rien à faire.
Heureusement que l’on n’avait pas encore de cantine. Tant qu’il n’y avait pas la cantine, les enfants venaient aux horaires d’école, de 8h30 jusqu’à 11h30 et je les reprenais à 13h30 jusqu’à 16h30. Nous restions jusqu’à 18h pour préparer le lendemain.
Puis, l’été on recevait les enfants de 14h à 17h parce qu’il faisait tellement chaud que l’on demandait aux parents de laisser les enfants se reposer à la maison pour que, quand ils arrivent, ils soient un peu reposés.

Quand nous nous sommes mariés, nous avons habité dans la rue Messine qui est la petite rue qui part de la mairie, la place Bouradet et qui est parallèle au marché, la rue de l’école des beaux arts. Et à la place de l’école des beaux arts il y avait les services techniques, là où mon père travaillait.
On y avait emmené un bout de notre manège pour le faire réparer, avec tous les enfants en rang.