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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Femme d'un tuyauteur des chantiers dès 1970 et responsable du secteur animation de l’association Gaspar à La Seyne

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : moyenne


Présentation du témoin Écouter cette séquence

Interviewer : Présentez-vous, A-M.
AMG : Je suis A-M G. J’ai 57 ans et je suis responsable d’un secteur animation et accompagnement scolaire d’une association : l’association Gaspard à La Seyne sur mer.

Interviewer : On aura deux entretiens.
Un premier où vous parlez de vous en tant que seynoise. Comment vous êtes arrivée à La Seyne. Comment vous avez connu les chantiers…
Et dans un second entretien vous nous parlerez de votre expérience au quartier Berthe.
AMG : Je ne suis pas liée aux chantiers par ma famille. Je suis liée aux chantiers par mon histoire de vie, car je suis seynoise depuis 1978. Ce n’est pas très vieux, mais je suis devenue très seynoise.
Avant, j’habitais à Sanary, qui n’était pas non plus ma ville natale, puisque je suis née à Lille.
J’ai un papa belge d’origine espagnole et une maman du centre de la France qui est venue habiter le sud au moment de la guerre, à cause de la maladie de son père et qui à rencontré mon père à Sanary.
Mon père avait fui le travail obligatoire en Allemagne. Il était en Belgique et ses frères, qui étaient transporteurs, lui ont donné un camion et lui ont dit de se sauver en France et de passer en zone libre.
C’était le plus jeune d’une famille de onze enfants.
Ma mère, elle, était de Firminy, dans la Loire. Elle était arrivée à Toulon au moment du sabordement de la flotte de Toulon, parce que son papa avait un cancer (il était ingénieur dans l’automobile).
Ils étaient venus dans le Sud pour avoir un peu de soleil et son papa est mort. Je ne l’ai donc pas connu.
Ma grand-mère, elle, a repris un magasin de coiffure à St-Jean-du-Var et ma mère, qui faisait des études de médecine, a dû abandonner ses études pour aller passer son CAP de coiffure, pour aider sa mère qui n’avait pas l’intention d’élever ses frères et sœurs toute seule.

Interviewer : Donc, vous êtes quand même issue d’un milieu cultivé et d’un bon milieu social.
AMG : Oui. Ma mère est issue d’une famille bourgeoise. Une grande bourgeoisie du centre de la France.
Je pense que mon père était aussi issu d’une famille aisée, mais il était le onzième de la famille.
Il y avait une briqueterie à Bruxelles, il y avait une rue qui portait son nom…
Ce sont des choses qui ne m’ont pas trop préoccupée.
Je dirais que j’ai souffert de l’état d’esprit bourgeois de la famille de ma mère, énormément. D’où mon travail, je pense.
Ma grand-mère était une grande dame qui n’a jamais fait le ménage de sa vie. Qui n’a jamais voulu qu’on l’appelle grand-mère. Qui ne voulait pas qu’on l’embrasse, puisqu’elle allait chez l’esthéticienne.
Je suis restée à Lille jusqu’à mes 18 ans, où j’ai un peu claqué la porte de la maison pour revenir à Sanary, où je passais toutes mes vacances.
Ma mère était enseignante (elle avait repris ses études) et toutes nos vacances scolaire on les passait à Sanary. A part les vacances de Noël, où il y avait la réunion familiale du côté de mon père. Sinon, toutes nos vacances étaient à Sanary.
Donc je ne garde de Lille que quelque chose de très cadré : l’école, la maison, la messe le dimanche. (00.05.30).
Mon père a été élevé chez les Don Bosco. Donc, moi, je suis allée à l’école des sœurs, en uniforme.
A la maison, c’était très important la religion, du côté de mon père… la messe le dimanche…
C’était des valeurs éducatives assez strictes : pour passer à table il fallait se changer. Mes frères n’avaient pas le droit de manger en short. Il fallait se coiffer. J’avais des cheveux longs, il fallait les attacher. C’est bizarre parce que je les attache toujours…
J’avais une éducation très traditionnelle : les parents ne parlaient pas devant les enfants. Il y avait beaucoup de non-dits je pense, beaucoup de pudeur, beaucoup de choses comme ça. Mais ça faisait aussi partie de l’éducation de ces années-là, je pense. 

Interviewer : Je pense que c’est une éducation bourgeoise, mais c’est aussi une éducation de l’époque.
AMG : Oui, tout à fait. Mes quatre frères étaient certainement plus sages que moi.
Je devais déjà être un peu révoltée. 

Interviewer : Vos frères sont plus jeunes ?
AMG : J’ai deux frères plus jeunes et deux frères, dont un décédé, plus vieux. 

Interviewer : Et le statut de la fille dans une famille comme ça ?
AMG : Ça m’a permis d’aider les filles du quartier Berthe. Parce que quand les jeunes filles du quartier Berthe m’expliquaient leur enfermement par leur statut de fille musulmane, je leur disais que ce n’était pas à cause de leur statut de fille musulmane, mais de fille tout court. P
arce que ce qu’elles ont vécu, ce qu’elles vivent encore parfois, je l’ai un petit peu vécu : les interdits de la fille. Interdit de faire du vélo. Parce qu'à l’époque on ne portait pas de pantalon et on ne faisait pas de vélo avec une jupe, parce que ce n’était pas correct.
Mon père m’a fait faire un cabinet de toilette dans ma chambre, pour que je puisse garder un peu cette intimité de fille.
Ne pas sortir de la salle de bains en culotte, même si je n’avais que huit ans … Je ne comprenais pas, déjà parce que quand on allait à la plage on était en maillots de bains (ce n’était pas logique dans ma tête, mais il fallait respecter).
Je pense que j’ai gardé, depuis, une certaine discipline. Même si je ne suis pas d’accord. Mais, à partir du moment où il y a une hiérarchie ou quelque chose comme ça, je contournais. Je me débrouillais pour faire un peu comme j’ai envie, mais avec respect et avec discipline.
J’ai gardé une certaine façon d’éduquer mes enfants.
Mais je suis fière de transmettre une partie de mon patrimoine familial, mais avec des choses qui ont largement évolué, heureusement pour mes enfants…
Donc je suis arrivée à Sanary à l’âge de 19 ans.
J’ai claqué la porte de chez moi parce que je pense que j’étouffais un petit peu dans ce cocon qui ne me correspondait pas trop.
Je me suis mariée très jeune et j’ai divorcé deux ans après parce que je suis retombée dans le même style de famille.
Le père de ma fille était issu d’une famille bourgeoise aussi, de la région Toulonnaise. 


Un mari aux chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Que faisait votre premier mari ?
AMG : Il travaillait aux chantiers. Mais ses frères avaient des serres. Ils étaient horticulteurs et le père était ingénieur dans l’aviation civile.
Ils ont fait l’Afrique, la Casamance, le Congo, Pointe-Noire.
Le père de ma fille est né à Pointe-Noire.
Je crois qu’ils étaient originaires de Toulon et je crois qu’il y avait des appartenances à la famille Beaussier. Et, du côté du père, ils étaient bretons.
Le non de famille du père était J.
J’ai divorcé très tôt, deux ans et demi après. Je pensais que je n’étais pas aimée.

Interviewer : Quand vous étiez mariée, vous ne travailliez pas ?
AMG : Non, j’habitais à Sanary. La première année, j’habitais aux Lônes. Après, je suis allée habiter à Toulon parce qu’il y avait une maison familiale du côté du père de ma fille qui était là et qui était disponible, juste derrière chez les beaux-parents qui ne m’ont pas gênée, car ils n’étaient pas envahissants. Mais je pense que ça a contribué à mon divorce. 

Interviewer : Et ce premier mari travaillait aux chantiers ?
AMG : Oui. Je me suis mariée en 1971. Ma fille est née en 1972 et je me suis séparée en 1974.
C’était la belle époque des chantiers. Il travaillait dans un bureau. Il n’avait pas trop de qualifications.
C’était le dernier d’une famille, qui ne faisait pas grand-chose et que l’on avait essayé de caser à plusieurs endroits différents et le dernier en date c’était le chantier. 

Interviewer : Et à cette époque-là, vous aviez des relations avec les gens des chantiers ?
AMG : J’ai eu des relations avec les gens des chantiers par rapport à ma jeunesse à Sanary, parce qu’il y avait les copains qui faisaient des études et les copains qui ne faisaient pas d’études, qui travaillaient aux chantiers.
C’était comme ça. Quand on ne faisait pas d’études, on travaillait aux chantiers, qu’on habite à Sanary, à Bandol, à Six-Fours…
La jeunesse que j’ai connue autour de Sanary, Six-Fours, Bandol faisait des études ou non. Il y avait des familles de pécheurs, parce que Sanary était un petit village, à l’époque. Donc, il y avait les familles de pécheurs et quelques-uns qui restaient dans la tradition de la famille. Et des copains qui travaillaient aux chantiers.


De Lille à Sanary et La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Donc, vous divorcez…
AMG : Je divorce et je viens habiter à La Seyne, parce que je me dis qu’à La Seyne ça sera plus facile de trouver du travail et effectivement je trouve du travail.
C’était l’idée que l’on se faisait à l’époque.
J’avais un peu travaillé à Sanary chez un comptable. Je n’avais pas vraiment de qualifications non plus.
J’avais passé un bac ES. Je voulais être prof de sport, parce que l’éducation stricte de mes parents faisait que l’on ne faisait rien. On ne sortait pas. On n’allait pas chez les copains.
C’était l’école, la maison et je cherchais déjà une échappatoire pour sortir avec autorisation… C’était l’équipe de sport du Lycée fédéral de Lille, quand je suis rentrée en sixième parce qu'à l’époque, c’était le lycée de la sixième à la terminale. J’étais au lycée fédéral de Lille et je me suis inscrite dans l’équipe de gymnastique de l’ASU (Association Sportive Universitaire), parce que je savais que j’aurais le droit d’y aller et il s’est avéré que je n’étais pas mauvaise.
Je partais donc en compétition, aux championnats de France. On allait un peu partout, c’était bien.
Ça a été une époque importante de ma vie et je voulais être prof de sport. Je faisais quatorze heures de sport par semaine et c’était vraiment ma passion. Je m’étais découvert une passion pour ce sport.
J’ai passé mon bac et j’ai rempli mon dossier pour rentrer au CREPS de Lille? pour être prof de sport.
Mais c’est vrai que? quand j’étais enfant? je m’apercevais que quand je courais j’avais des problèmes de souffle et j’avais tendance à m’asphyxier un petit peu. J’avais un petit problème qui ne m’a jamais posé de problèmes de santé, mais qui a fait que j’étais dispensée de course d’endurance et ça m’a empêché de rentrer au CREPS et là ça a été… Je n’avais jamais pensé faire autre chose de ma vie.
La fiancée de mon frère aîné qui travaillait, à l’époque, à la mairie de Lille et qui me disait « il y a la communauté urbaine de Lille qui est en train de se monter. Tu devrais passer le concours pour rentrer. Comme ça, au moins, tu travaillerais. »
A l’époque on ne donnait pas d’argent de poche aux enfants et je commençais à être jeune… seize ans, dix-sept ans, dix-huit ans. Mai soixante-huit, on a fait, mais on a rien compris… On a rien compris parce qu’on n’était pas ouverts à la politique et à toutes ces choses là.
J’ai participé à mai soixante-huit, mais pas complètement. Que la journée parce qu'après il fallait rentrer à la maison, c’était compliqué. La liberté n’était pas comme ça. On avait très envie, mais à la fois l’éducation ne nous le permettait pas et on ne dérogeait pas aux interdits de la famille. Ce n’était même pas pensable, ça ne nous traversait pas l’esprit.
Je pense que mai soixante huit à contribué à nous libérer. Pas moi, parce que je ne pense pas que ça ait changé grand chose à la maison.
J’ai retrouvé quelque chose chez les jeunes de Berthe : il y avait ce qu’on était capable de dire et de faire dehors, mais une fois passé le seuil de la maison, c’était le respect total. On ne s’opposait pas.
J’ai commencé à m'opposer avec la messe le dimanche. Un petit peu parce que ça commençait à me soûler.
Bref, j’ai passé le concours de la communauté et j’ai réussi et je suis allé travailler à la communauté.
Ils avaient un arrangement pour que les jeunes puissent poursuivre leurs études en fac. Il y avait un contrat qui se faisait pour les étudiants. C’était après mai soixante-huit, c’était en soixante-neuf. Ils avaient ouvert des possibilités aux jeunes qui travaillaient à la communauté urbaine de Lille de pouvoir continuer les études et j’étais donc partie en DEUG de droit. D’ailleurs, le DEUG de droit m’a soûlée. La communauté urbaine aussi.
J’étais commis administratif. Je travaillais au service de la signalisation, avec un ingénieur qui m’appelait de temps en temps pour traduire des textes en anglais. Et sa secrétaire me fusillait du regard, parce que c’était elle la secrétaire. Et donc, elle se demandait ce que je venais faire là, avec son ingénieur.
Une fois, j’ai été malade et j’ai manqué. J’avais la grippe. J’étais vraiment malade parce qu'à la maison, tant que l’on était debout, on allait à l’école. Mon supérieur me disait de faire attention à ne pas trop manquer pour la titularisation. Mais je m’en foutais de la titularisation et j’ai tout laissé tomber et je suis venue à Sanary.
Ma mère m’a certifié que j’ai marqué sur la glace avec le rouge à lèvre « j’en ai marre, je me casse ! »
Je ne pense pas avoir été jusque là, mais bon… 

Interviewer : Vous aviez une attache à Sanary ?
AMG : Oui, j’y ai passé toutes mes vacances depuis que j’étais toute petite. Je connaissais tout le monde à Sanary.
C’était le paradis pour moi, Sanary. J’étais beaucoup plus liée au sud de la France qu’au nord, où je n’y avais aucune attache, si ce n’est la famille de mon père qui était en Belgique.
Pour moi, Lille c’était Lille. Il faisait froid. Je pensais que j’allais mourir à trente ans parce que c’était vraiment un pays pourri…
Ce qui est bizarre, c’est que quand j’étais petite, je disais que quand je serais grande, je serais au soleil et que j’aurais plein d’enfants. C’est quand même marquant. Je n’ai fait que deux enfants en treize ans, mais j’ai piqué un peu ceux des autres.
Donc je suis au soleil et j’ai pleins d’enfants autour de moi. Je suis quand même arrivée là où je voulais.
Voilà, donc je débarque à la gare de Toulon avec X bagages et, prise de panique, je me demande ou je pourrais aller. Qu’est-ce que je pourrais faire et j’ai atterri au foyer de la jeunesse, sur la place d’armes, parce que j’ai monté un gros baratin. Je ne pouvais pas dire que j’avais claqué la porte de chez moi, ça ne faisait pas sérieux. En plus, j’étais mineure parce que la majorité est à vingt et un ans. Ma mère m’a laissée partir…
Bref, je m’installe. Je me réinscris en fac. Je trouve du boulot.
Je suis restée un moment au foyer de la jeunesse. Je me suis régalée avec des gens supers sympas. J’étais dans une chambre avec une fille qui était secrétaire d’un médecin, chez un phlébologue. Et une autre qui était en école d’infirmière et on s’entendait bien. On sortait ensemble. On rigolait bien et on avait des copains qui faisaient partie des quartiers maître de St-Mandrier, avec qui on allait à la patinoire et ça se passe très bien.
Mais l’été, il fallait que l’on parte du foyer parce qu’il y avait des allemands qui y étaient hébergés…
Je reviens donc rapidement à Sanary, dans un petit studio et je travaille. Je me débrouille. Je fais des petits boulots. Je n’ai pas vraiment de métier.
A l’époque, on trouvait facilement un métier. Ma grand-mère était commerçante. J’allais la voir de temps en temps, mais elle ne débordait pas énormément d’affection pour moi. Elle ne débordait pas d’affection tout court. Donc, je ne débordais pas d’affection pour elle non plus. Il y avait un grand respect encore.
Je rencontre mon mari, que j’épouse rapidement en soixante et onze, après la naissance de ma fille. Et je me rends vite compte que je ne ferai pas ma vie avec et je m’échappe. J’étais folle.


Le divorce, un enfant et un deuxième mari Écouter cette séquence

AMG : J’avais un copain qui était au camp de Canjuers et je lui dis « il faut que je m’en aille, j’en peux plus ».
Mais à l’époque, on ne pouvait pas divorcer comme ça. Il fallait divorcer par faute. Alors un copains m’écrit des lettres d’amour enflammées que je laisse traîner chez moi.
Donc je divorce. Ce n’est pas facile.
Je me retrouve toute seule, avec un père qui me lève la parole parce que dans la famille on ne divorce pas quand on est chrétiens, on ne divorce pas. On rompt un sacrement et on ne rompt pas un sacrement dans la famille. »
Elle parle de certaines complications qu’elle a rencontré, suite à ce divorce : une enquête sociale (00.23.50)
Je décide ensuite d’habiter à La Seyne. J’ai un copain, mais ce n’est pas sérieux. C’était pour ne pas être toute seule.
Je rencontre ensuite rapidement mon compagnon de vie que je connais depuis trente ans. Que je n’épouse pas, puisque j’ai été mariée une fois et divorcée. 

Interviewer : L’enquête sociale a abouti à quoi ?
AMG : L’assistante sociale débarque chez moi un jour et me dit qu’il n y a pas de souci, que je peux garder ma fille et je la regarde et elle me dit « Vous n’avez rien à dire ? ». Je lui dis que non et elle me dit « Si j’avais eu un avis contraire ? ». Je lui ai dit « mais je ne vous l’aurais pas donnée. C’est ma fille. Vous ne l’auriez pas touchée » et elle me répond « mais il y a la loi. » Je lui dis je m’en fous. S'il l’avait fallu je serais allée jusque dans le port avec elle, mais vous ne l’auriez pas eue de toute façon. Je ne laisserais pas ma fille élevée dans un contexte comme ça. Parce que ce poids écrasant de la bourgeoisie, de l’hypocrisie et des non-dits, c’était affreux de vivre comme ça. Donc, je garde ma fille sans intention de la donner.
Donc, je me suis installée à La Seyne et je rencontre mon compagnon. On vit ensemble rapidement, accidentellement.
Donc, on se met en ménage et je rencontre, là, une famille d’origine italienne. Il est aux chantiers, mais c’est un enfant gâté et pourri : fils unique, petit-fils unique et neveu unique.
Il était tuyauteur aux chantiers, pas très assidu au travail. Lui aussi divorçait. Il avait un enfant, N. qui a six mois d’écart avec ma fille. Mon beau-père, donc le père de mon compagnon, est à l’arsenal. Ma belle-mère est responsable de l’atelier de dessins, elle est cadre aux chantiers. C’était la famille D. Les deux oncles étaient contremaîtres et c’était une grande famille des chantiers.
Quand ma belle-mère était enceinte de mon mari, elle a accouché à la clinique des chantiers.
Ils habitaient à la place de la Lune. La grand-mère, qui avait vendu des fruits et légumes au marché, faisait des ménages aux chantiers. Tout le monde était aux chantiers.
Je découvre alors les chantiers. J’habitais la rue Blanqui et la sirène, tous les gens qui sortent, je trouve ça fabuleux, je trouve ça beau, ça me plaît.
Je me plais à La Seyne. Je trouve du travail tout de suite. Je rencontre JM. D’abord j’habitais rue Blanqui et après on a habité à la rue d’Alsace, après à la rue Rosenberg, ensuite au boulevard Stalingrad.
On n’est pas restés longtemps rue Blanqui, parce que c’était petit. C’était prévu que pour moi et ma fille au départ, ce n’était pas prévu pour un mec en plus. Rue d’Alsace, c’était pas mal. J’en suis partie parce que mon beau-père était chasseur et M. aussi. Donc, un jour il m’a ramené un braque allemand qui m’a mangé la moitié de l’appartement. Donc, un matin je me suis levée en me disant "là il faut que je déménage. J’en peux plus. Sinon je vais habiter à l’hôtel".
Donc, je trouve un petit appartement dans la rue Rosenberg, dans un petit immeuble, au rez-de-chaussée avec une petite terrasse.
Ensuite, j’ai travaillé à Chasse et Sport, j’ai été gérante du magasin Phildar. A l’époque, M. gagnait très bien sa vie.


Un mari, italien et tuyauteur Écouter cette séquence

Interviewer : Racontez-moi un peu cette ville des chantiers, cette époque.
AMG : C’était fabuleux. Les salaires étaient… Je travaillais plus pour m’occuper et pour être indépendante que par nécessité financière. On vivait très bien. On payait le loyer, on sortait, on bougeait, on faisait des choses quoi…
On ne faisait pas nos courses ailleurs qu’à La Seyne. Je découvre là une vie qui me convient, j’étais bien. 

Interviewer : Que faisiez-vous à La Seyne en tant que compagne d’un tuyauteur et belle-fille d’une famille des chantiers ?
AMG : Déjà je découvre une famille d’origine italienne, avec les raviolis, mémé qui fait les raviolis pour tout le quartier, les gnocchis que j’apprends à faire. 

Interviewer : Ils vous ont bien acceptée ?
AMG : La première femme de mon mari était normande. Moi, je suis née à Lille. Donc, la première réflexion de la grand-mère c’est « T’en as encore pas pris une qui vient d’ici ». Je l’ai regardée, je lui ai dit « Pourquoi vous êtes d’ici vous ? ». Ceci dit, ce sont des gens adorables, des gens que j’adore.
Mon mari n’est pas allé à l’école parce qu’il était trop gâté, sûrement.
Il est très militant, très CGT, parti communiste, très impliqué. (00.30.45)
Qu’est-ce que j’ai pu garder de ces années là ? Elles sont rapidement passées parce qu’il y a vite eu les difficultés du chantier, les grèves, la construction du Fersky. 

Interviewer : Mais ça, c’est la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingts.
AMG : Oui, mais j’y suis déjà, entre mon arrivée, mon mariage, mon divorce, voilà on est dans les années quatre-vingts et on avait la possibilité de partir des chantiers avec une manne financière que JM. prend.
Il va travailler avec un copain et ils créent une entreprise de sous-traitance et JM devient superviseur de travaux (00.31.23) et là on vit très bien aussi. 

Interviewer : C’était une entreprise de quoi ?
AMG : De tuyauterie, je crois, il me semble. Ça ne dure pas longtemps parce que le chantier baisse.
C’était une entreprise de sous-traitance des chantiers. En 1981 il a un salaire de 15 000 francs, c’est énorme. 

Interviewer : Comment vous viviez alors ?
AMG : Tranquillement, la vie de famille, les enfants, on gâte les enfants, la famille italienne avec le petit-fils qui est le roi du monde.
J’ai eu un deuxième enfant en 1985, que j’ai eu du mal à avoir. J’ai mis 5 ans à avoir J., qui arrive comme un bon Dieu. Ma fille bien acceptée, c’était la petite fille de la maison. Un accueil très chaleureux et simple, comme j’en avais pas connu chez moi.


Le catéchisme, la religion Écouter cette séquence

Interviewer : Et à La Seyne vous viviez en centre ville ?
AMG : J’habitais au centre ville. Ma fille allait à l’école JB Coste. Elle a d’abord été à Martini, puis à JB Coste.
J’arrête de travailler. Ensuite, j’ai travaillé à Chasse et Sport un an. Puis j’ai été gérante du magasin Phildar et j’ai arrêté parce que j’ai eu des soucis de santé. C’était avant la naissance de J. Je crois que j’ai arrêté de travailler en 1982 et là je commence à m’impliquer à l’école, à la FCPE, j’ai été maman catéchèse. Ma fille voulait aller au catéchisme et je ne voulais pas qu’on lui raconte n’importe quoi. Donc, j’ai dit que le meilleur moyen c’était de lui faire le catéchisme à la paroisse avec AC., c’était une figure. (00.33.52) … Il était au Pont-du-Las avant de venir à La Seyne.
Je suis allée à une réunion avec HL., son mari était aux chantiers aussi. Je la vois tout le temps. Je suis toujours en relation d’ailleurs, parce qu’elle fait partie des gens que j’ai adorés et je fais inscrire ma fille au catéchisme et je ne travaille pas. Donc, je lui demande qui fait le catéchisme à ma fille et on me dit des mamans catéchèses. Je me dit mince, l’hypocrisie encore qui m’arrive dessus. C’est pas possible. On va lui raconter qu’Eve a croqué dans la pomme, ou je ne sais pas quoi. Je n y crois pas du tout… Je me laisse embrigader là-dedans et ça ne me dérange pas. De toute façon, j’ai vécu là-dedans.
Je me retrouve donc avec le petit-fils M., le fils A. et des familles de La Seyne qui viennent à la maison et avec qui on commence à parler de Jésus, de la vie de Jésus… Oui j’y crois, mais pas n’importe comment.
Je n’ai pourtant pas connu ce milieu catholique de La Seyne. J’allais à la messe le dimanche pour accompagner ma fille. Mais A., lui, était quelqu’un d’extraordinaire parce que, justement, il était moderne.
J’ai été avec une copine qui s’appelait C., son mari était dans la marine et la mère de son mari était d’origine gitane et elle lisait les lignes de la main et elle, elle était extraordinaire. Elle faisait la catéchèse avec moi et A. nous appelait ses contestataires, parce qu’on avait toujours un mot à dire et on avait toujours une histoire à rajouter et l’on s’entend très bien avec A. parce que c’est quelqu’un d’assez moderne dans sa tête, il était très ouvert.
Le jour de la première communion de ma fille, il vient me voir. Il me dit : « AM., je sais que tu ne communies pas parce que tu es divorcée, tu refais ta vie »… Je suis excommuniée. Je fais la catéchèse, mais je suis excommuniée et il me dit : « Tu sais, il y a des gestes qui remplacent » et je le regarde, je lui dis : «  tu sais où tu peux te les mettre tes gestes qui remplacent ? Je m’en fous des gestes qui remplacent. Mais c’est quoi ça ? Je suis qui, moi, pour avoir des gestes qui remplacent ? Je suis maman catéchèse. J’ai divorcée parce que j’étais malheureuse. J’ai redonné une famille à ma fille et tes gestes qui remplacent, je m’en fous. »
Je l’envoie bouler. Je n’ai pas le droit de communier, ce n’est pas un problème pour moi. J’arrive à vivre sans.
Le jour de la communion, mon père est présent et c’est mon père qui m’apporte l’hostie dans ma main : « Ma fille je t’ai pardonné » et je prends cette hostie et je communie, parce que c’est mon père qui me l’a donnée. 

Interviewer : Et vous vous étiez confessée auparavant ?
AMG : Non, je ne veux pas me confesser. 

Interviewer : Et AC. a accepté ça ?
AMG : Oui, on n’est pas obligé d’aller se confesser. On peut se confesser toute seule. Je ne vais pas aller raconter ma vie et mes péchés. C’est quoi un péché ? J’ai jamais aimé la confession. C’est des choses que je trouve bêtes… de se mettre derrière un machin… ça fait partie de mon côté… J’accepte, j’ai jamais… Mais après, quand on est capable de faire ses propres choix, on peut… Moi, j’ai arrangé les choses comme je voulais les arranger.
Si ce n’était pas autorisé tant pis je ne le faisais pas et si c’était autorisé tant mieux je le faisais. 


La politique Écouter cette séquence

Interviewer : En tant que croyante, voire pratiquante, comment vous envisagiez la politique ?
AMG : Rien n’est incompatible, c’est une question de morale et voila. 

Interviewer : Vous découvrez le communisme…
AMG : Mon mari est communiste. Il m’emmène à la section de la rue Lagagne, où je découvre la politique.
Je ne savais pas ce que c’était que la politique. Ma mère était d’extrême droite et mon père était gaulliste. Il n’a jamais voté parce qu’il ne s’est jamais fait naturaliser français. Mais mon père était gaulliste. C’était un grand admirateur de De Gaulle. On était au garde à vous quand il passait à la télé…
Je me suis dis je vais enfin connaître le communisme. Ça m’intéressait, j’étais curieuse. Mon mari me disait : « Tu devrais prendre ta carte. » j’ai dit : « Oui, pourquoi pas ? » Et la première chose que j’entends, c’est les pots de muguet du premier mai qu’il faut vendre. Je me dis : «  c’est ça la politique ? » Non, mais ça parait idiot parce qu’à cette époque là j’avais plus de 20 ans, j’avais connu M. à 28 ans… d’être aussi ignare.
Ça fait partie de l’éducation aussi. Donc, chez mes beaux-parents, ça discute dur politique. Mais au sens noble du terme. Chez moi, mon mari est vécu comme un « pauvre con ». Il n’a pas d’éducation. Il est ouvrier aux chantiers et, en plus, il est de gauche. Il a tous les handicaps. 

Interviewer : Donc, vous découvrez le communisme et qu’avez-vous fait en tant que militante ?
AMG : Rien. J’ai vendu des pots de muguet… Je ne suis pas du style à descendre en bas du cours Louis Blanc pour aller vendre un journal. Je n’ai pas donné d’affiches non plus. Je n’ai pas été militante, mais je me suis enrichie d’une culture plus ouvrière où j’ai compris que les valeurs catholiques et les valeurs ouvrières pouvaient être les mêmes et j’ai découvert ce que l’on ne m’avait pas aidée à découvrir au niveau familial : c’est que j’aimais les gens.
J’avais un profond respect et l’amour des autres qu’on aurait dû m’apprendre, au moins en tant que chrétienne.
Je pense que mon père me l’a certainement transmis. Je pense que je ne l’ai pas reçu. Je pense que ma mère méprisait un peu le manque de culture de mon père. Ma mère était quelqu’un qui avait un peu de mépris pour les gens, tout comme ma grand-mère. C’est la bourgeoisie je pense. Ce qui fait que, quelque part, je me demande si elle aimait mon père ou si c’était simplement parce qu’il avait fait cinq enfants avec elle… Je ne sais pas.
Ma mère, aujourd’hui, habite à Sanary. Mais je ne la vois plus depuis 15 ans.


La famille Écouter cette séquence

Interviewer : Et cette famille italienne que vous avez trouvée a remplacé votre famille ?
AMG : Non, personne ne remplace personne. 

Interviewer : Est-ce que vous avez souffert de cette absence de contact ?
AMG : J’en souffre toujours et je culpabilise auprès de mes enfants de leur avoir fermé la porte à leur famille maternelle. Tout en me disant je les ai peut-être préservés aussi.
Comme quoi, les vies ne sont pas si simples que ça. Ma fille aînée a bien connu ma mère. Mais à l’adolescence elle s’est écartée elle aussi, parce qu’elle a été jugée. 

Interviewer : A travers cette nouvelle famille, vous avez pu mettre en pratique votre christianisme ?
AMG : Non, ils ne sont pas pratiquants du tout. Ma belle-mère est croyante. Elle montait au Mai. Elle faisait la marche du Mai. Ma belle-mère est très fatiguée. C’est une famille italienne du Piémont, des deux côtés. 

Interviewer : Ils sont là depuis quelle génération ?
AMG : Ma belle-mère est née à La Seyne. Mon beau-père et ma belle-mère son nés à La Seyne. La famille de ma belle-mère était du chemin des Roses.
C’est une immigration très ancienne. Je crois que la grand-mère est arrivée très petite. La grand-mère était terrible. On s’adorait toutes les deux, elle était de 1904.

Interviewer : Moi, ce qui m’intéresse ce sont ces chrétiens seynois communistes.
AMG : Je n’en connais pas grand-chose de ces chrétiens seynois communistes. Je ne suis rentrée dans l’église à La Seyne que pour permettre à ma fille de vivre sa religion d’une façon un peu moderne. 

Interviewer : Vous les avez éduqués religieusement, vos enfants ?
AMG : Non, ma fille c’est parce qu’elle me l’a demandé et mon fils ne l’a jamais voulu. Cependant il a été baptisé mon fils, à 22 ans et je ne lui ai pas du tout donné de formation religieuse. Il n’a pas voulu, ça ne l’intéressait pas. Je lui ai quand même passé mes valeurs. 

Interviewer : Et vos valeurs, c’est quoi ?
AMG : C’est la franchise, l’honnêteté, l’affection, la gentillesse et d’apporter aux autres ce qui leur manque. 

Interviewer : Et votre mari par rapport à ce que vous êtes ?
AMG : Il n’est pas du tout comme ça. Il est très gentil, il est très humain, mais beaucoup plus égoïste parce qu’il est fils unique, petit-fils unique et neveu unique. Je crois que je l’ai un peu embarqué dans mon histoire.

Interviewer : Comment vit-il votre implication dans la ville ?
AMG : Lui il s'est impliqué avant moi. Puisque quand je l’ai connu, c’était quelqu’un d’impliqué à la CGT et aux chantiers et au parti communiste. Donc M. est aussi connu à La Seyne.


La fermeture des chantiers et la vie à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Est-ce que vous avez connu cette période de fermeture des chantiers ?
AMG : Oui, M. est resté un mois dans le chantier, enfermé, sans sortir des chantiers. C’était au moment de la fermeture. Toutes les grèves des chantiers, il les a faites. J’ai plein de trucs à la maison, il a gardé plein de choses. Moi qui ne suis pas du tout conservatrice, qui ai l’habitude de virer tout ce qui me dérange dans ma vie, mais ça j’ai gardé parce que ce n’est pas à moi et je ne vire pas ce qui ne m’appartient pas. 

Interviewer : Il faut tout garder parce qu’on espère, qu’un jour, il y aura un centre d’archive des chantiers.
AMG : J’ai gardé tout un tas de choses…

Interviewer : Pour terminer, parlez-moi un peu de la vie à La Seyne. Par exemple, vous m’avez dit que vous alliez au Mai ?
AMG : Non, mes beaux-parents allaient au Mai. Mon beau-père chasse, ils vont au Mai, ma belle-mère monte au Mai. Mais moi je ne monte pas avec elle. Je n’y suis jamais montée.
Moi, je passais mes étés au Père Louis parce que la sœur de ma belle-mère, qui est célibataire, est une amoureuse du bord de l’eau, tout comme moi. Et on passe notre temps à aller au bord de l’eau, tout l’été, avec les enfants à se baigner, rencontrer toutes les copines. On est une vingtaine et on y va.
Mon mari fait horaires blocs au début. Donc, il rentre à 13 heures. Il mange et après on prend les vélos et on va à Balaguer et on y reste jusqu’à 7 heures du soir. Tous les jours on s’amuse bien et les enfants s’amusent entre eux. Il y a un vieux bateau, ils montent dessus ils plongent, on passe tous nos été là bas, c’est un bonheur. 

Interviewer : Que faisiez-vous comme loisirs, à cette époque-là ?
AMG : Du temps du chantier, ma fille participait aux actions avec le chantier. Elle était inscrite au comité d’entreprise. Elle allait faire du cheval. Elle allait à la neige. Elle faisait de la danse… Tout ça avec le chantier et ça ne coûtait rien. Elle partait aussi en séjour. Elle faisait de la danse et elle faisait du cheval à Janas. Ils avaient rendez-vous, quand ils partaient au ski on partait loin pour essayer les skis et les chaussures parce que tout appartenait aux chantiers : les skis, les chaussures de ski, ils avaient tout. Je me rappelle aussi de la distribution des jouets à la cantine, ça je m’en souviens, au moment de Noël. 

Interviewer : Avez-vous connu une bibliothèque aux chantiers ?
AMG : Je ne m’en rappelle plus. Je me souviens de la mutuelle du chantier, sur la porte en fer, le long des chantiers, avant qu’elle ne soit au-dessus de la pharmacie, parce que du coup comme je suis avec M. et qu’il est aux chantiers, je suis à la mutuelle, ça je m’en rappelle.
Il y avait une porte en fer sur le côté des chantiers, avant la porte là... il y avait une porte en fer. C’était celle de la mutuelle et c’est là qu’on allait. Je trouvais ça fabuleux, parce que tu ne payes pas tes médicaments. Tu y vas, puis tu es remboursé tout de suite. Tu fais tes piqûres, tu es remboursé. C’était fabuleux, on n’avait pas d’hésitation à se faire soigner, on n’avait pas d’hésitation à se faire quoi que ce soit. 

Interviewer : Et la clinique des chantiers ?
AMG : Je ne l’ai pas connue moi, la clinique. Ma belle-mère m’a expliqué qu’elle a accouché à la clinique du chantier. Moi je ne l’ai pas connue. Nous, on allait à Ollioules, au château de Faveroles où j’ai accouché de ma fille. C’est une clinique mutualiste. 


Le quartier Berthe et l'embauche à l'association Gaspard Écouter cette séquence

Interviewer : Comment êtes-vous arrivée à Berthe ?
AMG : Le parti communiste m’a vite soûlée. Par contre, je me suis impliquée à l’école en tant que parent d’élève et j’ai même été présidente des parents d’élève de la FCPE sur les écoles Eugénie Cotton et Renan. Pendant des années où j’ai organisé le Loto, la kermesse …
Entre temps, j’ai été famille d’accueil. J’ai gardé des enfants à la maison. J’habitais, dans un premier temps, à l’avenue Marcel Dassault, dans un petit F3, jusqu’à la naissance de mon fils et après j’habitais au boulevard Stalingrad, juste en face du garage Le Normandie. Là, je suis famille d’accueil et je suis présidente de la FCPE et, en même temps, je commence à me rapprocher du comité antiracisme. 

Interviewer : Ça veut dire quoi famille d’accueil ?
AMG : Ça veut dire que, dans un premier temps, j’ai été assistante maternelle agréée et qu’après j’ai demandé un agrément de famille d’accueil pour les enfants qui sont placés par le juge. C’était des enfants qui vivaient donc avec nous. J’ai eu pas mal d’enfants comme ça. C’était des enfants de la DASS ou des enfants enlevés temporairement, ou plus longtemps, aux parents. La dernière petite fille que j’ai eue est rentrée à la maison à l’âge de 9 jours et elle en est ressortie à 4 ans et demi. 

Interviewer : Ce n’est pas dur, après, de s’en séparer ?
AMG : Si, c’est affreux, c’est horrible, on s’attache. Mais après, voilà… 

Interviewer : Mais elle n’a plus de contact avec vous après ?
AMG : Non, dans cette famille là non. D’autres on gardé contact avec moi. En même temps qu’elle, j’avais un petit garçon qui n'était pas bien du tout, qui a plus de 20 ans et que j’ai revu il y a 2 ou 3 ans. Sporadiquement, il me rappelle.
Après j’ai gardé longtemps des contacts avec la maman et une petite fille que j’ai gardée pendant un an : E., j’ai appris que la grand-mère était décédée il n’y a pas longtemps. 

Interviewer : C’était des enfants de La Seyne ?
AMG : La petite fille était de la cité Berthe. C’était une petite algérienne.
C. était de Paris. Il était venu habiter à La Seyne, je n’ai pas très bien compris pourquoi, c’était une histoire de famille assez lourde.
E., la grand-mère était ici et je pense que ça faisait très longtemps, mais elle arrivait de Grenoble. 

Interviewer : Comment êtes-vous arrivée à être famille d’accueil ?
AMG : Parce que, quand j’ai arrêté de travailler et que j’ai eu mes problèmes de santé, je n’avais pas franchement besoin de travailler mais je m’ennuyais. J’avais besoin de m’occuper et en plus le désir de ravoir un enfant et les difficultés. Je me suis dit qu’en m’occupant d’enfants, ça m’enlèverait ça de la tête, ça me permettrait de ne pas vivre cette difficulté, deuxième maternité, au quotidien.
Donc, je me suis dit que je m’occuperai des autres et que moi, pendant ce temps-là, j’arrêterai de penser à ma petite personne. 

Interviewer : Parlez-moi de Berthe.
AMG : Donc, dans ces années-là, à un moment, mon mari n’est plus communiste, il est socialiste et on côtoie un petit peu la maison des potes du Luc, SOS racisme et on crée le comité SOS racisme sur La Seyne.
A l’époque, il y a le carnaval et je sais qu’à l’époque le carnaval est fait par des associations et je vais donc rencontrer monsieur B. à Gaspard, pour lui demander si on peut faire un char pour SOS racisme et il me dit oui.
On cherche un thème et on décide d’une mappemonde avec des petits bonhommes autour qui se donnent la main et un plateau avec des enfants déguisés à l’identité du monde.
J’en parle au comité SOS racisme et personne ne bouge. Mais je me dis que je ne vais pas faire un char toute seule et puis je laisse un peu tomber. Mais, au bout de quelques temps, j’ai un peu honte de laisser tomber. Donc je vais revoir R. pour lui dire je ne vais pas faire un char, il n y a personne qui bouge. Je veux bien faire quelque chose, mais je ne vais pas faire un char toute seule et il me dit : « Mais il est commencé ton char, il faut venir ». Alors je viens et c’était à l’ancien hangar d’écope et j’y vais et, effectivement, mon char est commencé. Je vois plein de gens que je ne connais pas qui viennent m’aider. Je me demande ce que c’est que cette association, ça existe des gens comme ça qui viennent t’aider sans te connaître ?
Et je n’en suis jamais repartie. Et, quand le carnaval est fini, je m’approche de C., qui est un des garçons. Ce qui m’a choqué à Gaspard, c’est cette capacité à côtoyer des gens tellement différents de ce que l’on est. Il y a des gens qui ont des vies de fous, qui ont des parcours de moitié de SDF et qui paraissent à cent milles lieux de ce que j’ai vécu et je leur parlent et ils me parlent et on fait des choses ensemble et il viennent m’aider.
Il y a des choses terribles c’est qu’au début, on mange ensemble et chacun pose au milieu de la table ce qu’on apporte à manger. Donc, ce que l’on apporte n’a pas d’identité et chacun arrive et s’assoie et mange.
Ce qui fait que l’on ne voit pas celui qui n’apporte rien. Après on voit les gratteurs, parce que l’on est gentils, mais il ne faut pas être bête quand on est gentil.
Donc il ne faut pas rester béat devant les gens, parce qu’après on se trompe et on les trompe et ce n’est pas bien d’être trompé. Parce qu’après ça nous rend amers dans ce que l’on fait, quand on se sent manipulé. Et je m’aperçois qu’il y a des gens qui se cachent derrière les chars, pour ne pas manger. Et il y a des gens qui ont perdu l’habitude de ne pas manger le midi et pendant les mois où on fait le carnaval, on leur redonne l’habitude qu’un repas de midi c’est possible.
C’est énorme ce partage humain et je m’aperçois de tout ce qui me creuse avec ma famille.
C’est quelque chose de dur parce qu’à cette époque là, je la fréquente encore et je me rend compte de la montagne entre ce que je vis durant ces mois passés à Gaspard avec ces gens, par rapport à ce que je vis comme hypocrisie quand je vais chez moi. Je crois que c’est là que ça se creuse et je crois que c’est là que ça commence à me soûler de faire semblant de ne pas voir ce qui se passe et c’est là que je m’affirme et que je commence à me sentir bien dans ce que je fais. 

Interviewer : Et c’est là que vous avez mis le pied à l’étrier de Gaspard.
AMG : Donc, je finis ce premier carnaval et je parle à C. qui est quelqu'un d’assez bourru et qui a été capable de faire La Seyne-Paris à pied pour, retrouver l’élue de son cœur qui est a moitié alcoolique, Rolande, qui est quelqu’un de fabuleux et je lui dis : «C. qu’est-ce qu’on fait pour rester à Gaspard ? ». Il me regarde d’un air de dire mais qu’est-ce qu’elle me dit là ? Et il me dit : « On vient. ».
Évidement, elle était con ma question. Et donc, après le carnaval, j’intègre l’équipe de Gaspard bénévolement puisque je suis famille d’accueil, j’ai un salaire. Et j’attaque mon premier été.
Et là j’inquiète mon mari parce que je n’étais jamais sortie de la maison et lui qui n’était pas beaucoup à la maison parce que ce n’était pas un homme de maison. Il sortait. Il jouait aux boules, il jouait à la longue, il faisait des concours. Il allait à la chasse. Il avait les copains. Il faisait la troisième mi-temps au pastis…
Mais voilà, je suis quelqu’un d’assez indépendante. Après, je mets un peu de règles quand même, parce que je ne vais pas passer ma vie à l’attendre. Je me rends compte, là aussi, que la vie de couple ce n’est pas ce que je pensais non plus.
Je ne sais pas si je suis faite pour la vie de couple au fond de moi-même parce que je reste.
Mais bon je découvre un peu ces servitudes : être obligée de rentrer… Alors, lui, il est un peu affolé au début parce qu’il est jaloux. C’est un italien, alors les femmes n’ont pas le droit à la parole. Je comprends aussi que pour résister aux gens, il ne faut pas résister de front. Mais il vaut mieux les prendre par derrière et faire ce que l’on veut…
Donc il y a tout un arrangement qui se fait.
Je découvre aussi que ma belle-mère est soumise à mon beau-père d’une façon dingue, mais volontairement. Mais moi je ne suis pas soumise du tout. Je me révolte en douceur et je pose mes trucs.
Donc au début à Gaspard, l’été, je rentre dans le circuit de l’animation. C’est-à-dire que je prends les enfants. On fait tout un tas de choses. C’est fabuleux et, à la fin de l’été, tout le monde est crevé et moi je dis mince c’est déjà fini et je commence à Gaspard comme ça.
Alors je reste extérieure à Gaspard pour tout ce qui est la période des santons, parce que je suis sur Renan avec mon Loto et tout ça. La période de juin pour la kermesse de Renan. Mais entre deux? il y a le carnaval? donc c’est imbriqué : la maison, les enfants que je garde, le carnaval, la kermesse de Renan, l’été, les élections des parents d’élèves, le Loto, puis encore le carnaval et ça carbure. C’est bien, j’adore.
Je ne pars plus de Gaspard, parce que je n’arrive pas à en partir.
En 1994, j’arrête d’être famille d’accueil parce que je pense qu’il y a un moment de ma vie et de mon âge où j’ai envie de passer à autre chose. Et puis le circuit de l’aide sociale à l’enfance a aussi des travers qui ne me plaisent pas. Et puis je m’oppose, là aussi et je revendique…
Il y a des choses que je n’apprécie plus et je pars. Mais là, c’est compliqué. Parce que, là, on est avec des enfants. On est avec des humains à la maison. Tu ne peux pas dire tu quittes ton travail et tu es au chômage, tant pis pour toi. Tu ne peux pas dire aux enfants cassez-vous, je ne vous veux plus, retournez d’où vous venez.
Donc, je profite du départ de C. et je permets à L. de rentrer dans sa famille. Parce que j’ai dit celle là ils ne l’auront pas. Elle a une famille, donc je fais en sorte que la famille puisse retrouver le cocon familial. Mieux vaut retrouver une famille que l’ASE. Même si la famille n’est pas parfaite : tout plutôt que d’être à l’aide sociale pour l’enfance.
Je reste un an comme ça. J’étais rentrée au CA de Gaspard entre temps, puisque le bénévolat ça ne me suffisait pas. Il fallait que je comprenne plus loin.
Donc, je rentre au CA de Gaspard et en 1995, je vais voir R. et je lui dis : « R., je veux travailler à Gaspard. Je veux être salariée à Gaspard, ça ne me suffit pas le bénévolat et je voudrais m’occuper des ados ». Il me dit : « Il y a R. qui s’occupe des ados. Si tu rentres, tu t’occupes des petits ». Je m’occupe des petits, ce n’est pas grave et il me dit « Mais il faut que tu commences comme les autres. Je ne peux te prendre qu’en CES à mi-temps ». C’est pas grave. Le mi-temps, j’y reste à temps complet. Je n’ai qu’un mi-temps, mais je reste à temps complet puisque, de toute façon, ça fait ­6 ans que je suis bénévole, ça ne me dérange pas trop.
Je commence ensuite à mettre le nez dans les dossiers et je crée mon secteur. Donc, après, j’ai pris rapidement mon CDD et mon CDI. 


Les familles immigrées Écouter cette séquence

Interviewer : Ces femmes de Berthe, toutes ces femmes que vous avez côtoyées, décrivez-les moi. Ça fait combien d’années que vous êtes à Gaspard ?
AMG : Depuis 1989. J’ai été bénévole de 1989 à 1996 et depuis 1996 je suis salariée.
Il y a plusieurs cas de figures. Elles sont comme nous. Elles sont différentes les unes des autres. Dans la grande majorité elles sont décalées par rapport à ce qui se passe dehors, parce que les jeunes sont décalés par rapport à ce qui se passe dehors.
Moi, je disais à une maman : « Vous obligez vos enfants à être hypocrites parce que quand ils passent le seuil de la porte, ils sont obligés de laisser 50 % de leur identité sur le palier ». Et ça c’est vrai. Il y a la vie de dehors et la vie de dedans. Dehors on est un enfant du quartier. On va à l’école. On est dans une société française, européenne et quelques fois dans les maisons, c’est le bled. Africain, tunisien ou marocain, c’est le bled.
Il y a le fonctionnement et ce fonctionnement il faut le connaître pour le comprendre. On peut le critiquer, on peut le connaître. Un exemple : on reproche aux parents du quartier de ne pas aller assez souvent voir les profs à l’école. Mais, au début du siècle, en France, le maire, l’instituteur et le curé étaient des notables que l’on respectait, pour lesquels on ne se serait pas permis d’aller voir ce qui se passe, parce que quand on leur confiait nos enfants, on leur faisait confiance. C’est ce qui se passe là. Nos familles, quand elles confient l’enfant à l’école, elles font confiance puisqu’elles les envoient faire quelque chose qu’elles n’ont pas fait elles : l’instruction, la langue française, les mathématiques… Elles ne se sentent pas venir d’elles-mêmes. Si on les appelle, elles viennent. Mais d’elles-mêmes, elles ne vont pas y aller : ça veut dire quoi ? Je vais aller voir ce qui se passe ? Qui je suis moi ? Je ne sais pas lire, je ne sais pas écrire et je vais aller voir ce qui se passe. Ça ne veut pas dire qu’à la maison elles s’en foutent.

Interviewer : AM., je vais vous raconter ma vie. C’est que moi mes parents ne sont jamais allés voir mes maîtres. Mais c’est exactement ça, d’abord parce qu’ils sont allés à l’école, mais pas très longtemps, mais aussi parce que ce n’était pas leur truc.
AMG : Voilà ! Pourquoi est-ce que l’on a oublié nous ? Pourquoi on a la mémoire comme ça, sélective ? Hormis la culture des pays de l’autre côté de la méditerranée, il y a beaucoup de choses pour lesquelles il n'y a qu’un décalage de générations. L’attachement à la religion dans la vie quotidienne pour les familles musulmanes, c’est nous au début du siècle.
On a la mémoire sélective, on oublie. On oublie les rappels à la Bible, les rappels aux paroles du curé le dimanche, on oublie. Alors l’enfant de la maison ne hausse pas le ton dans les familles où il y a une éducation. Mais, après, il y a des familles à l’envers, comme chez nous. Mais, après, dehors, c’est un enfant, c’est un jeune. Il grandit dans la société et il suit… on a des enfants qui n’ont pas toujours suivi les bons copains, près de nous. Et bien eux, c’est pareil.
Alors le deuxième décalage je dirais que c’est le décalage du nombre. Oui, on a fait de ce quartier un ghetto où tout est multiplié par le nombre, le taux de familles d’origine immigrée, le taux de familles nombreuses, le taux de femmes seules, le taux de chômeurs, le taux de RMIstes. On a perdu de la population avec la démolition des tours, mais au bon temps de la cité, quand elle était bien et quand elle avait sa réputation, il y avait 6000 jeunes de 0 à 25 ans, entre 6 et 7000 jeunes !
Quand il y en a 100 qui bougent et qui mettent la panique, comme en 1997, ça fait combien en pourcentage ? Ça fait combien en pourcentage ? Dans un autre quartier ça fera 5 ou 6 qui bougeront, au même pourcentage. Il est là le problème. En bas du bâtiment où l’on habite, il y a 5 jeunes. On rentre à la maison, on dit tiens les jeunes parlent… « Bonjour. Bonjour madame » et on rentre chez nous.
En bas d’une tour de 16 étages avec 4 appartements avec des familles de 3, 4, 5, 6, 7, 8 enfants, ils sont combien en bas ? C’est un rassemblement de voyous ? Pourquoi ?


La transmission des valeurs aux enfants du quartier Écouter cette séquence

Interviewer : Vous avez écrit ?
AMG : Non, c’est là… Oui, j’ai écrit un petit peu quand j’ai fait mon bilan pour ma VAP, oui j’ai écrit des choses mais… oui j’écrirais peut-être un jour, mais je n’ai pas le temps.

Interviewer : Alors, comment vous faites, vous dans Gaspard, par rapport à cette situation où vous faites partie de ces personnes qui permettent à ces lieux de vivre ?
AMG : J’ai toujours dit aux gens qui arrivaient pour travailler avec moi : «C’est un quartier où il faut arriver humblement et à petits pas ». Et je suis arrivée humblement et à petits pas. C'est-à-dire que je ne connaissais pas du tout ce quartier. J’étais complètement perdue et je suis arrivée avec mes enfants qui ont participé aux activités avec ces enfants, avec les enfants que je gardais à l’époque, parce que j’avais les petits de la DASS. Je ne sais pas, je suis arrivée comme je suis, moi avec mes valeurs. Quand je n’étais pas d’accord je le disais. Qu’est-ce que je peux donner comme exemple ? A Gaspard, les jeunes rentraient à Gaspard et j’entendais des mots et des phrases : « Nique ta mère, va te faire enculer… » Et c’était devenu un langage.
A l’époque, mon bureau était une table dans la grande salle et les jeunes s’asseyaient autour et j’entendais des paroles et au bout d’un moment j’ai dit « Ce n’est pas possible. Je ne vais pas laisser faire ça » Et je leur fais : « Vous n’en avez pas marre de m’insulter ? » -« AM., on ne t’a rien dit ? » Et j’ai dit : « Si, nique ta mère, ta mère la pute… Je suis une mère, ça ne vous dérange pas de m’insulter ? » -« Mais ce n’est pas toi AM. » -« Bien si c’est moi, si c’est moi vous insultez les mères. Je suis une mère, vous m’insultez. A partir d’aujourd’hui, je ne veux plus entendre ça. Dehors, le trottoir mais loin de mes oreilles, arrête je ne peux plus là. Je ne peux plus rien avec vous. Je ne fais plus rien avec vous ». Après, c’est devenu une règle : ils rentraient. Ils s’asseyaient et on discutait.
Après, pourquoi le respect ? Parce que je crois que je les ai toujours respectés.
Un jour j’étais dans mon bureau et il y avait du bruit venant du sas. Parce qu’à Gaspard il y a une espèce de sas et à l’époque il n'y avait pas d’endroit pour les jeunes. Je suis restée 20 ans à Gaspard, sans toujours approuver la façon de faire de Gaspard. C’est peut-être pour ça que j’y suis restée. Un jour, j’étais en colère et j’ai dit à R. : « Il y a de la place pour les balais et il n'y a pas de place pour les jeunes ». Je le pensais. Je le pense encore et je résiste. Je suis sûre que dans 2 ans et demi, quand je partirai de Gaspard, je ne pense pas qu’il restera un secteur animation à Gaspard. Ça va être affreux, mais c’est comme ça, les choses évoluent…
Une fois, j’avais du boulot et ils criaient. Je me lève alors : « Les jeunes, taisez-vous ! » et à un moment ils m’ont énervée et je suis rentrée dans le sas pour les pousser dehors et je m’en suis pris un qui venait d’arriver. Il n’avait pas crié et il a fait un geste. Au moment où il a fait le geste de me lever la main dessus, il est parti et je suis rentrée. Je suis sortie le lendemain et je l’ai vu et je me suis excusée. Je lui ai dit : « Je te présente mes excuses. J’ai été nulle ». -« Non, AM. c’est moi, tu as vu j’ai levé la main. » J’ai dit : « Je sais mais c’était un réflexe. Je l’ai pris comme ça. De toute façon, tu ne m’as pas fait peur. C’était un réflexe. Mais, par contre, j’étais énervée. Ça faisait une demi-heure qu’ils criaient dans le sas, t’as été devant et voila, j’ai été nulle ». Et je crois que c’est là… La première réflexion que je me suis faite quand j’étais bénévole, je n’avais jamais fait d’animation. Je suis rentrée à Gaspard, à l’époque il y avait 200 gosses par jour qui nous attendaient, comme ça pour sortir. C’était effarant. C’était une marrée humaine d’enfants qui arrivaient. Il y a un gamin qui rentre dans la grande salle et il y a quelqu’un qui a dit : « Oh ! Toi … » et je me suis dit : « Ils ne feront aucun effort pour être sages.», il avait mis un pied et on l’avait déjà tué. C'est-à-dire qu’on l’avait catalogué.
Un jour on est partis à Aqualand et il y avait un gamin qui me faisait la misère. Il m’a cassé le boulot toute la journée. Je n’en pouvais plus. Le soir je l’ai attrapé, je l’ai traîné dans le bureau de R. et je lui ai dit : « Écoute-moi, dans mes sorties tu n'y es plus. Je ne te veux plus, voila… ». Le gamin s’en va, moi je m’en vais. 8 jours après, sortie générale. Il est dans le groupe général et la journée se passe, pas de souci. Le soir je l’appelle. Il vient vert moi d’un air de dire : « Qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ». J’ai dit : « Franchement, tu as été trop gentil aujourd’hui, c’est bien ».
Je l’ai eu tout l’été à mes côtés, il n’a jamais plus bougé.
Je crois que j’ai passé le BAFD au bout de plusieurs année,s avec une dérogation BAFA, où j’ai fait une auto-évaluation de mon professionnalisme que je n’avais pas au sens du terme animation. Et j’ai très peu répondu à cette auto-évaluation parce que je faisais des choses par instinct.
La première évaluation BAFD que j’ai faite, au bout d’une semaine de stage, j’ai rempli l’auto-évaluation parce qu’en fait j’avais mis, j’avais appris des mots professionnels sur des choses que je faisais d’instinct.
Je crois que dans le quartier je n’ai fait que reproduire les valeurs que l’on m’a inculquées : le respect, aimer son prochain. Sinon, qu’est-ce que je serais allée faire dans ce foutu quartier, à faire de l’animation ?
Si on n’aime pas les gosses, il faut aller vendre des pommes de terre, je le dis tout le temps.
Quelques fois je vois des gens qui travaillent à mes côtés, ça me hérisse et je me dis mais qu’est-ce qu’ils viennent faire là et quelques fois je discute avec des grands ou avec des mamans et je fais : « Pétard, si un jour je deviens comme ça dites-le-moi. Surtout dites-le-moi vite ! Ne me permettez pas de rester au milieu de vous et de m’abîmer comme ça ».
Et ça les fait rigoler, mais je le pense sincèrement.


Les femmes immigrées du quartier Écouter cette séquence

Interviewer : Alors ces mamans, décrivez-les-moi un peu. Comment vous pouvez les aider ?
AMG : Je les aide de la même façon que j’agis. Au début, quand je suis arrivée, on ne voyait pas les parents. On ne les voyait pas. C’était les grands qui amenaient les petits. Donc, normalement on ne devait s’occuper que des grands mais les mamans disaient : « Si tu veux sortir tu emmènes ton petit frère ». Donc, la population nous a obligés à prendre en compte les petits, sinon on ne pouvait pas s’occuper des grands.
Donc moi, j’ai commencé par m’occuper des petits. D’abord parce que je suis arrivée en 1989 et que mon fils avait 4 ans. Donc, j’étais bénévole et qu’il n’était pas question que j’abandonne mon fils pour m’occuper de ceux des autres.
Dans mon travail avec l’aide sociale à l’enfance, j’ai toujours fait pareil. J’ai vu les collègues de travail et ils s’occupaient tellement des enfants qu’on leur confiait, qu’ils oubliaient les leurs et qu’au bout de quelques années les enfants étaient en psychothérapie, c’est aberrant quand même.
Moi j’ai fait pareil, bénévole oui, mais mes enfants d’abord et ma famille d’abord.
Donc j’ai adapté mon bénévolat en fonction de mes capacités de temps au niveau de ma vie familiale.
J’ai tenté de ne déstabiliser personne. Mon mari était un peu frileux : « Pourquoi elle sort ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Elle m’échappe… ».
Donc, au début je ne faisais pas de sorties de journée. Je ne faisais pas les grandes réunions du soir. Je venais de 13 h à 17 h et après je rentrais. Et puis, ça m’a plu, je me suis investie. Je suis rentrée au conseil d’administration.
J’ai rassuré mon mari et ma famille en disant que oui j’étais toujours à la maison et que j’étais toujours moi-même, mais que j’avais envie de m’enrichir humainement et que j’avais envie de faire des choses dans ma vie.
Puis, quand j’ai commencé à prendre des responsabilités, je me suis demandé comment faire venir les parents.
J’ai alors adopté des choses toutes bêtes. Par exemple, au lieu de faire payer 2€ la sortie où l’enfant arrive avec ses 2€, je faisais un paiement à la semaine. Comme ça c’était un billet et c’était la maman qui descendait.
Après, je suis allée taper aux portes et j’ai demandé, je suis rentrée dans les maisons, quel accueil ! Je suis rentrée dans les maisons parce que quand j’ai commencé à être salariée, j’étais en relation, par l’intermédiaire de mon mari, avec monsieur P., le frère de monsieur P. qui était dans un collège de Ste Musse, qui était dans le centre de la France, qui avait une association qui s’appelait l’Art à peine et qui m’avait proposé des séjours de vacances. Donc, j’ai proposé à R. et j’ai commencé à faire le tour des familles, pour proposer des vacances.
C’est fabuleux, on tape toujours à leur porte pour réclamer des trucs et là je tape à leur porte pour leur proposer des vacances. Ils m’ont déroulé le tapis rouge. Mais ça me met des frissons rien que d’en parler, c’était affolant.
D’ailleurs, je suis rentrée chez une des mamans et c’était affolant parce qu’il y avait dans les tiroirs des bons CAF qui ne servaient plus depuis des années, qui étaient encore bien cachetés parce que c’était des papiers de la CAF. Les gens m’ouvraient le tiroir et me disaient : « Cherche A-M. » Je cherchais des papiers, alors chez les familles arabes c’était les tiroirs et chez les familles africaines c’était la valise en dessous du lit, fermée à clef, parce qu’il y avait les livrets de caisse d’épargne, il y avait tout et les papiers de la CAF : « Mais ça c’est plus bon, il faut que tu le jettes, maman. » Et les bons CAF et les papiers qu’il fallait chercher.
Et là, évidement, je rentrais et « A-M, tu veux un café ? » -« Oui, non, c’est pas grave. » -« Si, si A-M, assieds-toi. »
Le café c’était la table entière, les gâteaux, les amandes, la boisson fraîche, le melon que l’on t’épluchait pour ne pas que tu te salisses les mains, l’orange aussi. C’est énorme…
Et c’est là que je me suis aperçue que les familles les plus abîmées, c’était les familles européennes qui étaient encore sur ce quartier. Je me suis aperçue que c’était là qu’il y avait une grande fragilité parce que les autres avaient transporté leur culture un petit peu, donc ils vivaient avec des règles de société, avec des règles de vie : les leurs.
Ceci dit, en 20 ans il y a une grande évolution.

Interviewer : Quelle est cette évolution ?
AMG : Ils s’adaptent. Moi je crois qu’ils s’adaptent. Il y a l’époque où il y a le monde arabe dans la cité. On tue le mouton sur le balcon et le sang dégouline sur le linge de la voisine du dessous. Ou alors on l’égorge dans la baignoire.
Maintenant par règles d’hygiène, il y en a encore qui le font, mais ce ne se fait plus. Il y a des lieux pour et les gens y vont.

Interviewer : Est-ce qu’il y a des jeunes qui sont devenus adultes aujourd’hui et qui vivent toujours à la cité ?
AMG : Oui, il y en a qui sont devenus parents. J’ai eu des enfants qui sont devenus parents et j’ai eu des enfants des enfants devenus parents.
Oui, il y a du changement bien-sûr, c’est normal. Pourquoi ? Ils sont comme nous. Ils évoluent comme nous.
Le rapport à la religion aussi. Ils se sont adaptés. Il y a de l’évolution dans les 2 sens. Avant il n’y avait pas de femmes divorcées, il y a 15 ans dans le quartier Berthe. Alors ça, c’est une mauvaise évolution. C’est une bonne évolution parce que si elle n’est pas heureuse la femme, elle peut s’en aller. Mais elle n’a pas été préparée à prendre les rênes de l’éducation et quelques fois c’est le fils aîné qui remplace le père et là c’est dangereux parce que ça ne se cadre plus.
Après ça dépend des origines aussi, la femme africaine est une maîtresse femme. Je dirais que la femme africaine n’a pas besoin d’homme.

Interviewer : Parlez-moi des femmes africaines et des femmes maghrébines.
AMG : Je vais essayer de (interférences sur la bande son) … de rester à ma place, en espérant que ce que je vais dire ne sera pas mal perçu.
La femme arabe encore est plus sur le (interférences sur la bande son) sauf qu’elle détourne comme nous.
Voilà, un homme il ne faut pas le prendre comme ça, il faut… Par contre je pense qu’elles ont une indépendance financière. La femme arabe a l’argent de la CAF, elle a l’argent des bourses des enfants. Tandis que beaucoup de femmes africaines travaillent pour avoir une indépendance financière parce que l’homme africain ne lâche pas le pognon, d’après ce que j’en vois.

Interviewer : Donc, la femme arabe récupère l’argent du ménage et la femme africaine, elle ne récupère pas cet argent. C’est l’homme qui reste le maître financier et donc les femmes sont obligées de travailler ?
AMG : Elles ont les miettes. Moi j’ai des mamans, j’ai vu une maman dont le mari venait d’être hospitalisé et qui n’avait pas la carte de retrait. Il l’avait donnée à un homme de la communauté et beaucoup de femmes africaines travaillent pour avoir leur indépendance. J’ai une maman française qui est mariée à un Africain et ça a été dur. Elle est allée jusqu’à, quelques fois, voler l’argent, elle me raconte.

Interviewer : Ils ne donnent pas l’argent ?
AMG : Ils ne donnent pas d’argent. Un jour, une anecdote, une maman m’a raconté qu’elle avait reçu la prime à l’emploi (interférences sur la bande sonore) … monsieur, madame. Et lui, il a dit que c’était un surplus de loyer et il a gardé l’argent et comme seul moyen de pression pour récupérer sa prime pour l’emploi, elle lui a volé la mallette en fer, celle qu’il ferme avec tout dedans et elle l’a amenée dans un placard au boulot et elle lui a dit : « je te rendrai ta mallette quand tu me rendras mes sous. » Elle a eu ses sous et elle a rendu la mallette.
Il y a un rapport à l’argent qui est difficile et beaucoup de femmes africaines travaillent, vous avez vu, dans les magasins, dans les sociétés de nettoyage, ce sont des gens qui travaillent très dur.
Elles travaillent, c’est pour cela maintenant que l’on a du mal à travailler avec des familles et dans les familles arabes. On s’aperçoit qu’elles n’arrivent pas à mener de front l’éducation des enfants entre le travail dehors et l’éducation des enfants, elles n’arrivent pas à mener de front.

Interviewer : Et les femmes arabes ne travaillent pas ?
AMG : Elles travaillent moins et elles arrivent moins à mener de front la maison. Elles sont vite débordées et elles se déchargent beaucoup sur les enfants et ce n’est pas facile.

Interviewer : Ou le grand frère…
AMG : Non, l’histoire du grand frère ça déborde de partout, dans le quartier tout déborde sur tout.
L’histoire du grand frère, c’est l’histoire de l’homme musulman. Parce que dans la communauté musulmane, la vie des hommes et la vie des femmes sont séparées.
C’est pour ça, quoi que l’on en pense c’est des choses.
Je trouvais que les femmes arabes, au début quand je travaillais dans la cité, me semblaient débordées avec leur grande famille et bien c’est normal. Ça ne paraît pas normal et bien si, c’est normal. Parce qu’au bled, les enfants ne sont pas éduqués par la mère. Ils sont éduqués par les femmes. Parce que dans la maison, c’est la famille au sens large du terme. Il y a les oncles, les tantes, les parents, les enfants ce qui fait que la femme arabe n’éduque pas ses enfants seuls. Si elle a envie d’aller faire la sieste ou d’aller au hammam, elle peut y aller. Les enfants sont sous la garde des autres femmes et les hommes vivent entre eux.
La femme arabe des années 70, quand elle arrive en France, avec le rapprochement familial, la femme arabe ne sait pas vivre avec son mari. Elle est complètement perdue de vivre en couple parce que le couple de la femme musulmane se retrouve pour les moments d’intimité. Le reste du temps, c’est les femmes d’un côté et les hommes de l’autre.
Il faut savoir que ces familles ont été déstabilisées comme ça, de se retrouver en couple avec des enfants et avec l’homme qui ne dirige pas du tout les enfants. Quand on dit les pères sont démissionnaires non, ils ne sont pas démissionnaires.
Au début, quand j’étais dans la cité, quand j’entendais parler des femmes elles disaient : « Non, mais ça je ne le dis pas au père, mais ça je ne le dis pas au père.. » Et je me disais, elles doivent tout cacher au père pour avoir la paix.
Et bien non, c’est dans la culture. La mère est la responsable de l’harmonie familiale, c’est elle qui doit prendre sur elle ce qui ne va pas, pour que la maison soit un havre de paix. Donc elle régule pour que, quand le père arrive du travail,…

Interviewer : Mais les jeunes femmes, maintenant ?
AMG : Pas les jeunes femmes. Il y en a qui évoluent et il y en a qui n’évoluent pas. Il y a des femmes de notre âge qui sont vachement ringardes, elles ne sont pas marrantes, elles sont aigries.

Interviewer : Mais des femmes comme M. qui a 32 ans, je pense qu’elles amènent…
AMG : Mais elles vont changer des choses, elles vont changer plein de choses. Elles changent plein de choses, elles font des études, elles travaillent … Bien sûr.

Interviewer : Et leurs homologues masculins, leurs contemporains ?
AMG : C’est là où je voulais en venir.
Quand on parle de l’homme qui décide, du garçon, du grand frère, il faut savoir qu’une fille face à son frère, une fille musulmane face à son frère, lui doit le respect. Elle est surveillée. Elle n’a pas le droit de mettre une jupe courte et ça a déteint sur la communauté catholique africaine, parce que le garçon qui est en bas avec ses copains, toutes origines confondues, perd la face et qu'à un moment il fait comme ses copains.
J’ai une jeune fille qui est restée sans parler à son frère et à un moment -c’est une famille où l’entente est difficile- et à un moment je parlais avec elle et je lui disais : « Mais c’est parti d’où ? » -« Mais A-M, il a voulu se la jouer au musulman. Il voulait commander, moi on ne me commande pas. » Moi j’ai eu 4 frères et pas un de mes frères ne m’a commandée à la maison, parce que ce n’est pas dans notre culture.
Donc si mon frère m’avait dit : « Tu fais comme ça » J’aurais dit : « C’est bon, tu es qui toi pour me… »

Interviewer : Est-ce que ça vous est arrivé d’intervenir pour régler les problèmes de couples ou de famille ?
AMG : Non, de famille un petit peu, mais de couple jamais.

Interviewer : Mais au sens d’aider, d’essayer d’arranger des situations.
AMG : Oui, parce que quelquefois … Oui, ça m’est arrivé, mais de façon informelle, de dire : « Peut-être, moi, je verrais ça comme ça. Tiens, moi il m’est arrivé ça et j’ai fait comme ça ».
J’ai quand même vécu un divorce donc (interférences sur la bande sonore) …
Oui, ça m’est arrivé mais après pas sur des choses intimes, parce que je ne suis jamais rentrée…

Interviewer : Vous allez régulièrement dans les familles ?
AMG : Non, pas régulièrement. J’y vais quand c’est nécessaire.
Un soir, à 8h, il y a une maman qui m’a téléphoné en catastrophe. Elle avait un souci : « A-M, tu as vu, il m’arrive ça, le petit part en classe de neige, le copain il devait lui prêter les après-skis, tu ne vois pas… »
Elles savent que je sais tout. Donc, elle m’appelle et j’ai regardé, parce que j’avais le dossier des enfants qui étaient partis avec moi à la neige, pour savoir qui avait encore des après-skis qu’on avait prêté, en telle pointure. Je lui ai dit : « Tu n’as pas vu une-telle ? » -« Si, mais elle n’en a pas. » Je lui ai dit : « Écoute je vais voir. Je réfléchis et je te rappelle. » Et j’ai appelé une quatrième maman et elle me dit : «Si, moi j’ai prêté à F., mais elle en a besoin qu’au mois de février et je vais envoyer C. les récupérer, comme ça je les prête à W. »
J’ai dit bon, écoute, si tu ne peux pas tu me rappelles et j’ai retéléphoné à D. et je lui ai dit : « Regarde, il y a A. qui va voir. Sinon, là je m’en vais chez mes beaux-parents au cas où après, je passe à Gaspard, j’ai les clefs, j’appelle R, je passe à Gaspard et je vais voir si quelquefois il ne m’en reste pas une paire. » Elle me dit : « Mais, A-M, je te dérange. » Je lui dis : « Attends je suis à La Seyne, il faut 5 minutes. Le petit part à 10h demain matin. On ne va pas le laisser partir sans après-skis. Non tu ne me dérangse pas, vraiment. »
Je n’ai plus de bébé à la maison qui traîne. C’est aussi mon âge qui me rend disponible. Je n’ai pas toujours été autant disponible et ce sont des choses que je fais comme ça, spontanément. Le problème a été réglé et je ne me suis pas dérangée parce que F. a récupéré… Voilà, le problème a été réglé.
Elles savent qu’elles peuvent me demander et dans la mesure du possible je le ferai.
A la limite, j’étais dans la voiture avec mon mari et je lui disais : « Oh, pétard en plus on est le 18 et ça m’étonnerait qu’elle ait les sous pour acheter une paire d’après-skis à Auchan, à cette date du mois. »
Ça aussi c’est savoir la vie, voilà. La vie est scandée par les allocations.

Interviewer : En fait, il n’y a pas de travail, il y a peu de travail ?
AMG : Non, la vie est scandée par les prestations et on sait que si l’on organise une sortie, il faut l’organiser entre le 7 et le 15. Après ça devient compliqué. Le surplus est utilisé dans les 15 premiers jours.

Interviewer : Les gens ne travaillent pas ou …
AMG : J’ai des familles où les femmes seules ont du mal à travailler. Il y a beaucoup de femmes seules.

Interviewer : Les enfants de divorcés qui ont été abandonnés, toutes sorte de cas quoi ?
AMG : Oui, (interférences sur la bande son)…

Interviewer : … sur le quartier ?
AMG : Je pense qu’il y en a eu. Il faut voir ça avec le bureau du DSU, du GPV, le CUCS. Je pense que M. T., ah il est parti M., il est sur Toulon. Mais on doit pouvoir retrouver des études.
Oui, on avait, moi j’avais des chiffres parce que quand on faisait, comme je suis tutrice des diplômes d’animation, sur la présentation de la structure, il les fait aussi pour la validation de mon diplôme. Il y a des chiffres, on a des chiffres.

Interviewer : Dans les faits, il y a beaucoup de femmes seules ?
AMG : C’est toujours pareil, c’est le nombre d’habitants concentrés dans un mètre carré qui cumule tous les handicaps encore une fois.

Interviewer : Alors, il y a des femmes seules avec des enfants ?
AMG : Oui, D. elle a 13 enfants et elle est toute seule, c’est fou.

Interviewer : Alors, comment elle fait ?
AMG : Avec les allocations, les prestations sociales, RMIste, c’est énorme.
Après, il y a des systèmes où quand on récupère des vêtements c’est que telles familles ont fait porter (interférences sur la bande sonore)…


Les problèmes d'argent et la religion dans le quartier Écouter cette séquence

… Interviewer : Il y a un sociologue qui disait mais… parce qu’il y a eu une consultation à l’automne là et lui il a dit : « Ça ne sert à rien, on sait quels sont les problèmes, depuis longtemps.
Les problèmes sont bien définis, bien déterminés, ça ne sert à rien de… »
AMG : Tout à fait, ce qui est compliqué… Il n’a peut être pas tort, il faut que la solution arrive. Ce qui est compliqué c’est qu’à la foi il y a des grosses difficultés, la vie est difficile, mais à la fois on est dans une société de consommation et c’est le règne de l’enfant roi là-bas.
Est-ce que vous savez que l’on met dans les mains de l’enfant la bourse ou la rentrée scolaire parce que c’est l’argent de l’enfant pour qu’il aille s’habiller. Alors ce n’est pas dans toutes les familles parce qu’Auchan vous dira qu’au moment de la rentrée scolaire, maintenant ce sont les écrans plats, avant c’étaient les paraboles. L’argent est détourné. L’argent ne sert pas forcément aux enfants, mais l’argent sert à rhabiller les enfants. Mais quand ils grandissent, ça les habille en marques. Mais les enfants ont des choses que les nôtres n’ont pas. Ils ont les bourses (interférences sur la bande son)…
Les parents se ruinent pour eux, parce que je pense qu’a un moment donné pour avoir cette notion d’appartenance à la société qui les a accueillis, c’est passé par le paraître.
Par contre la mode a eu des allers-retours avec les quartiers extérieurs. Parce que les jeunes des quartiers ont toujours une apparence très clean. Ils sont tirés à 4 épingles. Ils sont magnifiques. Ils sont beaux comme des cœurs.
La coupe très courte est passée chez nous, le style baggy un peu… ça ne passe pas trop dans les cités, l’apparence reste toujours très clean, les enfants sont… Par contre c’est sûr que la mode féminine, elle, est plus difficile. Parce que les mini-jupes : « t’es une pute ! » donc ça, c’est plus compliqué. La mode du garçon manqué, c’est caché, c’est… (00.42.44)

Interviewer : Et le voile des femmes ?
AMG : J’en ai discuté avec plusieurs mamans. Je pense que les vraies raisons ne sont pas dites et je ne me suis pas attardée, parce que je pense que ça ne me regarde pas. Je pense que c’est une couverture, une protection.
Ce qui me gène, c’est que je pense que ça s’est quand même développé avec les problèmes d’intégrisme.

Interviewer : Vous le sentez l’intégrisme là-bas ?
AMG : Un petit peu oui, mais pas tout le temps.

Interviewer : Et par rapport aux gamins ?
AMG : Certains, ce n’est pas général.
Pour certaines familles, de la part des jeunes il y a un certain recul de la religion. Comme nous, avec le catholicisme. Parce que, comme je le disais tout à l’heure, moi je pense que l’on peut aujourd’hui (interférences sur la bande sonore)… on peut agir de façon chrétienne sans forcément…
Je pense avoir mis en place les valeurs apportées notamment par mon père, sans être très près de la religion. Je ne pense pas que se soit un souci. Je pense qu’il y a ça aussi un petit peu.
La vie moderne rend difficile l’histoire de la prière à des heures biens définies. Le papa qui est maçon à 10 mètres de hauteur, ça m’étonnerait qu’il descende et ça m’étonnerait que le bon Dieu lui en veuille beaucoup.
Je pense qu’ils l’ont compris, donc après ils s'adaptent aussi à la vie.
Le ramadan, il est suivi, il n’est pas toujours suivi. Aussi, moi, il y a 10 ans j’avais des grands qui venaient manger pendant l’heure du midi à Gaspard, parce que c’est sûr que s'ils ne suivent pas le ramadan ils ne mangeront pas à la maison. ils iront acheter un sandwich en cachette et ils iront le manger dans un endroit neutre.
Il y a toujours le décalage de l’intérieur et de l’extérieur.


L'insertion par l'association Gaspard Écouter cette séquence

Interviewer : Et au total, les femmes dans ce quartier ? Gaspard c’est quand même une partie du grand quartier quoi ?
AMG : Oui, les premières familles que l’on touche, c’est les premières familles des trois tours devant : Germinal A1, A2, A3. Ceci dit, moi de part mon histoire sur le quartier, de par la longueur des années, par ces colonies, maintenant j’ai développé à Gaspard un partenariat avec le Conseil régional et les stades de foot et j’ai 300 places par an. Comme c’est pratiquement gratuit, ça commence à se savoir. Donc, à chaque vacances, j’ai mon arrivée massive de petits stagiaires. Donc, je cible beaucoup de familles. J’ai quand même 300 enfants adhérents et je suis toute seule à m’occuper de ce secteur aujourd’hui. Parce que l’association ne désire plus développer le secteur animation, donc ça ne fait rien, j’ai encore 2 ans à tenir, je tiens.

Interviewer : Si l’association… qu’est-ce qu’il y a à côté du secteur animation ?
AMG : L’insertion, je n’y crois pas, mais bon ça après, c’est moi.
Je ne pense pas que l’on ait trouvé le bon système d’insertion dans le quartier.
Je ne pense pas que l’on ait les bons outils.

Interviewer : Ça veut dire quoi une insertion par l’association ?
AMG : On a des postes en CA et CAE que l’on ouvre à du personnel du quartier et hors quartier. Parce qu’à Gaspard la mixité sociale et culturelle est importante. On ne peut pas fonctionner qu’avec des gens du quartier. C’est important de s’ouvrir. La preuve c’est que, si on est là, c’est que je pense que l’on apporte plusieurs choses. Quand on n’est pas du quartier et que l’on travaille sur ce quartier, on apporte le témoignage de dire que c’est possible aux gens.
On me demande : « Qu’est-ce que tu fais là-bas ? Qu’est-ce qu’il y a à faire là-bas ? » Il y a énormément à faire, on est pareil, on est les mêmes.

Interviewer : Il y a peut être plus à faire là-bas…
AMG : A la fois on apporte, nous, ce que l’on connaît. C'est-à-dire d’expliquer que l’on n’est pas trop différents, d’essayer de casser ces barrières. On leur dit : « Oui, vous êtes dans un ghetto, mais nous on y vient. Donc, tout n’est pas perdu et si vous voulez être acceptés, faites aussi, vous, ce qu’il faut pour être acceptés. »
Je crois qu’il ne faut pas être tendre avec eux, moi je ne suis pas tendre, je ne suis pas tendre du tout.

Interviewer : Oui, moi-même quand j’avais des élèves, je leurs disais : « Toi, il faut que tu travailles 2 fois plus que les autres. »
AMG : Là, je ne suis pas d’accord non plus. Mais ce n’est pas normal. C’est vrai, mais ce n’est pas normal.
Ce n’est pas facile parce qu’à la maison personne ne peut les aider. Mais maintenant il y a beaucoup de choses autour pour les aider.
Il faut aussi arrêter de croire que l’on va devenir footballeur. Parce que des Zidane, il n’y en a pas beaucoup. Mais ça, les parents l’ont compris maintenant. Les parents ont compris l’enjeu de l’école, c’est très bien.
L’évolution fait qu’aujourd’hui les parents ont compris l’enjeu de l’école et ils s’attachent à ce que les enfants réussissent à l’école.
J’ai une maman qui ne savait pas lire. Elle me disait : « A-M, moi tous les soirs j’ouvre le cahier. Je lui fais réciter les leçons. Je ne sais pas lire, mais comme ça il voit qui je m’intéresse et comme je fais les courses, je connais les chiffres et je connais les notes, je les reconnais et donc… » Elle a appris les chiffres en faisant les courses, en achetant à manger, elle est obligée de connaître les chiffres.
J’ai des mamans qui ont passé le permis sans savoir lire. Les femmes ont passé le permis, elles l’ont fait par évolution, mais elles l’ont fait aussi par nécessité d’être indépendantes par rapport à l’homme, qui n’est pas très aidant dans la famille.


Les jeunes filles du quartier Écouter cette séquence

Interviewer : Les femmes, c’est quelque chose quand même dans ce quartier.
Elles jouent un rôle majeur, me semble-t-il.
AMG : Oui, parce que c’est…

Interviewer : Je veux dire qu’elles s’émancipent. Je sais que, par exemple, au lycée on avait des filles et ce sont les filles qui travaillaient.
AMG : Oui, parce que le garçon…

Interviewer : Ça fait longtemps, ce n’est pas d’aujourd’hui, ça doit faire 20 ou 30 ans.
AMG : Oui, ça ne me surprend pas. Moi aussi, j’ai eu ma place de fille à faire dans ma famille et j’avais 4 frères et quelque part, en tant que fille, quand on a quatre frères on prend le dessus pour montrer que l’on existe. Mais ça c’est le lot des minorités.
Moi, quand je suis rentrée à l’école, le premier prix que j’ai eu c’est le premier prix de boxe parce que j’ai été élevée un peu à la garçonne.
Au milieu de 4 garçons on est élevé un peu à la garçonne. On apprend à défendre son bifteck et quand j’ai dû rentrer à l’école, quand une fille m’embêtait je lui tapais dessus et je me faisais toujours punir.
Ensuite, j’ai grandi en me disant que l’on pouvait à la fois défendre son bifteck et être féminine et ces valeurs là je les fais passer.
Je suis plutôt sportive, je ne suis pas très talons hauts et tout ça. Mais on peut être féminine aussi et l’attention que j’ai sur moi je l’ai toujours fait passer aux filles du quartier. Comme j’ai fait passer aux filles du quartier que, moi, cette éducation un peut coincée de la fille je l’ai eue.
Je suis partie en camps en neige et j’ai eu une gamine qui a passé sa première journée à dire « Ta gueule ! ». Elles étaient 2 ou 3 à être un peu garçons manqués et un soir on est partis dans le couloir parce que sa voix était très grave et on a commencé avec M. par la punir, parce que c’était horrible et puis après j’ai observé et je me suis aperçue que c’était D., une petite africaine qui était comme ça très fière et qui était un peu le cerveau du groupe. Le soir, on s’est assis et j’ai regardé D. qui revendiquait plus doucement, mais qui revendiquait plus durement. Je me suis dit : « Toi ma cocotte, le système diviser pour mieux régner tu ne me l’apprendras pas. »
Et j’ai commencé à discuter avec D., parce que moi dans mon groupe, j’ai emmené ma petite-fille et sa copine et je l’ai fait exprès, parce que les garçons et les filles dans le quartier s’agressent. Il n’y a pas de jeux de séduction, il n’y a rien. La jeune fille du quartier ne peut pas avoir un copain, le tenir par la main, lui faire un bisou. Sinon elle est traitée de pute, ce n’est pas normal.
Un jour, je discutais avec 2 jeunes. J’étais partie en camp et ils se fréquentaient. C’était bien, au moins il n’y avait personne pour les pister, ils étaient tranquilles. Le garçon, je lui disais : « Ta L., quand tu sors avec elle tu l’emmènes où ? ». Il me dit : « Au gai versant. ». Je lui dis : « Tu ne te casses pas la tête. Tu ne peux pas l’amener à Sanary ? Lâche-les un peu tes sous. » Je lui faisais. Je leur apprenais qu’on pouvait être…
Par contre, un jour je suis rentrée dans la chambre. Ils étaient plusieurs. Habillés, mais ils étaient allongés tous les 2 sur le lit, la fille et le garçon et je savais qu’ils se fréquentaient. Ils n’étaient pas tous seuls. Ils étaient habillés comme vous et moi et j’ai dit à Linda : « Tu te lèves. ». Elle m’a dit : « A-M, je ne fais rien. » J’ai dit : « Je le sais mais tu n’as pas à être allongée, au milieu de ton copain. Il a des sens. Il a des sensations. Qu’est-ce que tu fais là ? Tu le chauffes et tu ne lui donnes rien, parce que de toute façon ce n’est pas le lieu. Et tu n’as pas l’âge, donc respecte-le et ne t’allonge pas à côté de lui. De toute façon, ça ne se fait pas. Ce n’est pas correct et vis-à-vis de moi, si j’ai un contrôle, qu’est-ce que c’est là ? »
Donc j’ai mis en place toutes les raisons pour lesquelles elle ne devait pas être allongée à côté de son copain.
Donc j’ai fait marcher ma culture.

Interviewer : Alors, ce fait que les garçons et les filles…
AMG : Alors pour finir l’histoire, ces 4 filles dont 2 étaient très garçons manqués, ont regardé C. et C. de travers, parce qu’elles sont très petites, jeunes filles et très séductrices. Parce qu’à 15 ans on est séductrice, heureusement. Et les garçons du groupe on vite fait copains-copines en toute… Voilà, s’il y avait eu un petit flirt et bien tant mieux. Ça fait partie des histoires de leur âge aussi.
Donc, elles les ont regardé de travers parce qu’elles étaient calmes, discrètes, correctes. Elles savaient s’exprimer et à la foi, elles étaient tout ce qu’elles ne peuvent et ne veulent pas être. Donc elles ont fait un peut le tampon avec les garçons. Comme les garçons avaient ces 2 jeunes filles à s’occuper, du coup ils ne calculaient pas les autres et il n’y avait pas cet affrontement filles/garçons qui est très dur, vulgaire, agressif, c’est dur ce qui se passe.
C’est tout le temps. Il n’y a pas de vie. Il n’y a pas de vie filles/garçons et c’est de pire en pire. C’est de pire en pire. Ce n’est que de l’affrontement et, au lieu que les filles restent filles, elles se mettent au niveau des garçons. Parce que si elles restent filles, elles se font traiter de putes. Ou alors elles ont peur d’être traitées, ou elles ont peur que le frère du copain les voit, parce qu’il y a tout cet engrenage qui fait…
Et donc on a été confrontés à ce groupe de filles. Elles étaient 4. Il y avait S., très garçon marqué. D., habillée comme un garçon, pas trop garçon manqué, mais en s’en donnant l’allure. Et puis il y avait S., qui était belle comme un cœur, très fille mais qui restait avec elles. Et puis il y en avait une quatrième, mal dans sa peau, grosse, un peu légère intellectuellement, qui se mettait certainement à l’abri.
Quand il arrive un problème comme-ça dans un groupe, il faut diviser le groupe. Il faut le décoder. Donc, on a commencé par punir, dire : « Non, vous ne ferez pas comme ça. » Dans un deuxième temps, il y a eu une discussion un soir où j’ai dit à D. : « Mais je connais ton père, il a des valeurs éducatives énormes… »
C’est une référence ce papa dans le quartier. Il a l’habit traditionnel africain. Il est beau qu’il n’en peut plus. C’est quelqu’un qui inspire le respect rien que par sa présence et ça je l’ai partagé avec D. et j’ai dit : « C. est éduquée comme toi et C. aussi. Et je ne vois pas qu’est-ce que c’est ce rôle de garçon manqué que vous jouez, c’est nul. »
Et le lendemain, elle est venue toute seule et je l’ai envoyée faire du ski avec 4 plus grandes qui sont détachées de ce système. Qui sont jeunes filles, dont la sœur de M.
Je n’ai pas aimé ce groupe et j’ai trouvé que M. l’avait trop protégé, mais ça c’est un autre problème.
Je les aime toutes individuellement, mais je n’ai pas aimé le fonctionnement de ce groupe. Mais je peux le comprendre aussi, donc je ne suis pas intervenue parce que je n’avais pas toutes les pistes.
Il faut toujours décoder les fonctionnements. C’est très compliqué parce que ce n’est pas dans notre manière de penser. Maintenant, les ados, il y a des choses qui se décodent quand même.
D., je l’ai envoyée faire du ski. Elle était débutante et il y avait le groupe des 4 grandes, plus C. et C. qui savaient très bien faire du ski. Je connais très bien C., c’est ma petite-fille.
A un moment, elle est passée à côté de D. et D. est tombée. C. fait du ski depuis très longtemps, elle s’est arrêtée et a aidé D. Elles ont discuté et là, j’ai gagné.
Donc, il y a comme ça des choses qu’il faut… et après du coup le groupe s’est harmonisé.
En animation il faut. Ça aussi M. n’a pas pu le faire parce qu’elle n’avait pas été aidée…
Un groupe, en animation, il faut faire attention. Quand on part en vacances avec un groupe, il se construit le groupe, on ne lance pas des inscriptions, je ne suis pas le club-méd., je ne suis pas l’agence Avas. Il faut mériter et moi je le construis, je le réfléchis le groupe. Je sais déjà d’entrée qui je vais mettre. Ce sont des enfants qui ont besoin, il faut absolument qu’ils partent pour des raisons diverses, des jeunes, pas les mêmes, tous et puis après, il faut mettre des éléments stabilisateurs de groupe et après il faut faire plaisir et pour garder une image culturelle importante de notre éducation chrétienne mais qui existe aussi dans l’éducation musulmane. Je laisse toujours la place pour celui que je ne connais pas et que je vais accueillir. Donc, je ne fais pas mon groupe complet. Il y a le dernier qui va arriver, qui va me dire : « A-M, il y a un camp de neige et je voudrais venir. » - « T’es qui ? T’es où ? T’habite où ? »
Et il faut pouvoir lui dire oui, pour ne pas que l’on travaille trop fermé.


L'avenir des associations à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Et s’il n’y a plus d’animation culturelle à Gaspard ?
AMG : Je pense que la volonté des dirigeants de Gaspard est de rester sur l’insertion et ils se trompent.
Après, à décharge de R., parce que je pense que ça vient un peu de son envie, R. a 40 ans de quartier, il est issu du quartier, je pense qu’il fatigue. Il y a une volonté municipale.

Interviewer : Je crois qu’il y a une volonté politique en général de ne plus permettre à des non-professionnels de…
AMG : Il n’y a plus personne de non-professionnel à Gaspard. Je pense plutôt que l’on a un souci en France avec la loi 1901 par rapport à l’Europe.
Le fonctionnement de la loi 1901 pose problème par rapport à l’Europe.

Interviewer : Il y avait une ancienne assistante sociale, au Conseil général, qui disait que la volonté politique aujourd’hui, c’était de… ils ont les associations en ligne de mire.
AMG : Ils ont raison. Il se passe n’importe quoi. Ceci dit, il y a des gens avec des diplômes qui sont venus travailler et qui ont été humainement parlant, pédagogiquement parlant… Un diplôme ne donne pas…

Interviewer : Ils veulent professionnaliser sans faire confiance aux associations.
AMG : Je pense que les associations, notamment sur le quartier et les associations en général, ont comblé des manques laissés par les institutions.
Je pense qu’aujourd’hui, les institutions veulent reprendre leur rôle premier.
Les associations qui resteront, en général, ce seront les meilleures ou celles qui arrangent le plus.
Ceci dit, la proximité des associations, le travail de proximité des associations qui n’a jamais été là pour faire de l’ombre mais qui, à un moment, a pris trop de place.
Je pense qu’à un moment on a tous outre passé ce pourquoi on était là.
Je le vois par rapport à Gaspard. Au début, on a été une association de pied de tour. Mais après, les dispositifs des années où les associations ont été gavées d’argent, les dispositifs qui arrivaient nous faisaient des appels du pied. Donc on montait des projets pour rentrer dans le cadre et on grossissait comme-ça.
En 2005, quand on a failli fermer à Gaspard et qu’on a dit il faut que l’on mette un frein, le fait d’avoir repris un peu nos bases, d’être redevenu un pied de tour au niveau animations, ça m’a fait un bien énorme.
Je ne suis plus devenue la grande chef qui organisait les sorties. J’étais devenue un chef d’orchestre avec une équipe d’animateurs, des gosses qui venaient, des dossiers à faire, on avait perdu l’humain.
Moi je continuais de le faire à ma façon, mais je manquais de temps.

Interviewer : C’est ce que ma collègue disait, c’est que dans l’optique actuelle c’est ce qui va manquer c’est la proximité.
AMG : Il faut la laisser cette proximité. Tout va un peu dans ce sens là. Les institutions veulent reprendre mais, en même temps, elles n’ont pas la possibilité d’avoir cette proximité, de rester au stade humain et j’ai peur que ça fasse comme ce qui se passait au niveau de l’éducation nationale. Cette obligation de résultat qui a fait que l’on a laissé les cancres au fond de la classe, cette obligation de résultat.

Interviewer : Moi, en éducation nationale, je suis pour les classes de niveau, je vais peut être vous faire hurler, je sais, mais pas pour la raison que vous croyez, parce que je dis que les enfants en grosse difficulté il faudrait les prendre pour les aider autrement parce que… (01.03.09)
AMG : Oui, mais il faut des structures. Quand j’ai été à Beaussier, j’avais des classes de niveau. Quand le niveau est haut, à la rigueur ça va, mais quand le niveau est bas…
Oui mais il fallait le faire avec peut être 3 personnes dans la classe et après voilà. Je veux dire que les faibles empêchent les autres d’avancer à leur rythme et…

Interviewer : Les bons ils avançaient, l’intérêt du mélange c’est que ça crée une dynamique.
AMG : Oui, c’est plus compliqué que ça, il n’y a pas de solution miracle.
J’ai vu des enfants finir par perturber les classes quand ils s’ennuyaient et que le niveau était trop bas aussi et le groupe des bons, des intelligents qui jouent les coquins avec les cancres de classe perturbent parce qu’ils n’y comprennent rien.

Interviewer : Après, il y a des méthodes, il y a des manières de faire où il faut faire le travail.
AMG : Oui, voilà.

Interviewer : Il faudrait que les plus forts aident les plus faibles.
AMG : En animation, il y a des gens. Le problème de tous ces métiers qui touchent à l’humain, c’est qu’en animation, comme dans l’éducation nationale, on le sait toutes les 2 qu’il y a des gens qui abîment plus qu’ils aident et on leur donne un quitus parce qu’ils ont un diplôme, c’est horrible quoi.
C’est horrible de dire que l’on ne veut plus que des professionnels dans les associations.
Des profs à la con dans l’éducation nationale, on en a tous eu et on a aussi eu des gens extraordinaires.
Moi j’ai vu des enfants laisser tomber des options à cause des profs et en animation j’ai vu des gamins ne plus vouloir faire quelque chose parce que… et j’ai vu des comportements d’animateurs scandaleux.
Tout en faisant du maximum, on sait que l’on a fait des erreurs vous et moi dans nos travaux mais quand on le fait patiemment, tout est récupérable.
Des erreurs on en fait tous, même à niveau humain. Mais il faut être capable d’aller reprendre, d’aller rediscuter.

Interviewer : Vous êtes une bonne chrétienne.
AMG : Non, mais ce n’est pas ça, d’être humble, d’être capable de dire : « Je me suis plantée là, excusez-moi. »
Mais moi je le fais souvent. Je m’excuse auprès des enfants quand je me manque, comme je m’excuse auprès de mon équipe quand, en tant que responsable, je suis dure, je suis horrible quelques fois.

Interviewer : Vous êtes très exigeante avec vous-même.
AMG : Oui, mais du coup je le suis trop avec les autres aussi. Donc à chaque fois je suis obligée de me freiner, parce que des fois, j’ai des gens qui sont en insertion…
Après je vais admettre l’erreur venant d’un enfant. Je ne vais pas trop l’admettre venant d’un adulte, à un moment je vais le regarder en face et je vais lui dire : « C’est bon quoi, une fois, deux fois je répète mais la troisième fois… Il faut arrêter de se moquer du monde. »
Ça je n’accepte pas. Je suis mauvaise. Je suis très dure et je suis capable de…


La destinée d'une jeune fille du quartier Écouter cette séquence

Interviewer : Est-ce qu’il y a des animateurs femmes, filles ? Parce que, d’après ce que j’ai vu, il y a beaucoup de garçons quand même.
AMG : Oh, moi j’en ai eu une extraordinaire. Elle est partie. Je n’en ai eu qu’une dans ma vie comme ça.

Interviewer : Il y en a des jeunes qui arrivent à s’en sortir bien ? On a le cas de ce garçon que l’on a cité à antenne 2.
AMG : J. ? Je l’ai eu à Gaspard, c’est mon petit.

Interviewer : Est-ce qu’il y en a pas mal comme ça ?
AMG : Bien sûr, il y en a plein.

Interviewer : Ils s’en vont ?
AMG : Je vais vous raconter quelque chose. J’avais une animatrice, j’avais une adolescente qui est devenue animatrice des devoirs à mes côtés. Elle s’appelle C. J’adore Cyem, elle est trop belle. Elle fait partie d’une famille bizarre. Il y a eu un fonctionnement dans cette famille tordu. Je n’ai rien compris. Avec une maman qui a un drôle de rôle. Elle a transformé ses garçons en femmelettes. Elle a foutu le mec dehors et elle a fait capoter le mariage de sa fille, de sa seule fille.
Je n’ai jamais compris si c’était pour la garder ou… enfin, c’est affreux.
C. a rencontré son mari, parce qu’aujourd’hui elle est mariée avec lui, elle l’a rencontré… C. est une grande. C’est quelqu’un que j’admire et, là aussi, je me suis trompée et après on en a même rediscuté avec sa mère, chose énorme.
C. elle a 15 ans et elle descend la première fois de son appartement, au quinzième. Sa maman est descendue avant, sur des sorties familiales. Un été, elle avait inscrit ses garçons en Tunisie, en colonie de vacances parce qu’elle n’était pas partie au bled et je fis la connaissance de S. dans une sortie familiale avec sa fille qui ne la quitte pas et qui est jeune. Pendant tout un été, S. sort avec nous. Les premières sorties avec les mamans ont été effarantes. Les enfants découvrent qu’une maman est autre chose qu’une cuisinière et qu’une mère nourricière.
Quand les enfants sont rentrés de vacances, ils n’ont pas reconnu leur maman. Ils ne l’ont pas reconnue.
Elle habitait au quatorzième étage du Germinal et elle n’était jamais descendue de chez elle, sauf pour aller faire les courses. Et ses garçons n’ont pas reconnu leur mère, savez-vous pourquoi ? Elle est Tunisienne, mais parce qu’elle était bronzée à la fin de l’été, ça laisse par terre ça.
Parce qu’on l’a emmenée à Aqualand et tout ça, cette maman était plus blanche que vous et moi parce qu’elle ne sortait jamais et le teint de la peau, quand on ne sort pas, on est blanc.
Ce qui prouve aussi pourquoi il y en a qui sont plus foncés que d’autres. Il y a ceux du Nord et ceux du Sud et ceux de l’extrême Sud.
Là-dessus, dans cette dynamique de cette maman qui sort un été avec nous, C. sort. C’est une adolescente très réservée, qui est à l’école et qui rentre à Beaussier et qui passe son Bac et qui nous aide.
Je la regarde et je lui dis : « C., il faut que tu fasses des études toi. Il faut que tu fasses des études pour être instit ou prof, je te vois trop là-dedans. Si tu es dans l’éducation nationale, en plus tu seras en vacances en même temps que tes enfants. Il n’y aura pas de souci. » Je sens déjà qu’il faut qu’elle s’adapte parce qu’on ne la laissera pas faire n’importe quoi et en plus ça lui collait à la peau.
C. donc, va à la fac et ça n’aboutit pas. Elle ne travaille pas. Elle n’explose pas. Elle a du mal et je ne comprends pas trop bien. J’ai compris après qu’il y avait une pression familiale, de ne pas avoir une trop grande liberté, une trop grande indépendance.
C. arrête et travaille à Gaspard. Elle a été présentée par une de ses cousines à un jeune homme qui est venu en France pour finir ses études et qui n’arrive pas à finir ses études par manque de moyens et qui, donc, travaille. Il s'appelle N. et il habite à Nice. Ils sont présentés l’un à l’autre.
Elle se marie à la mairie. Ils n’appellent pas ça un mariage, eux. Ils appellent ça un contrat et chacun reste chez soi.
Le mariage ne peut être que le mariage musulman.
C’est un contrat qui permettait à N. de régulariser se situation et rester en France.
Chacun rentre chez-soi. Il y a un livret de famille et tout ça et on est obligé de reprendre C. parce qu’elle continue de se faire appeler par son nom de famille et je dis : « C. arrête ! Tu vis en France ma chérie là. Tu as une identité aujourd’hui. Tu as un livret de famille. Tu es une femme mariée, aux yeux de la loi française tu es une femme mariée. Tu ne peux plus remplir tous tes papiers au nom de jeune fille.
Si tu veux garder ton nom, tu mets machin C., épouse… Arrête de taire ce… Tu es allée à la maire, tu t’es mariée.
Ta mère appelle ça le contrat, parce que tu es en train de faire les papiers pour N., je veux bien. Mais aujourd’hui tu es mariée. Donc à la fois c’est bien. »
Vous voyez pourquoi, dans des quartiers comme ça, c’est important que l’on y soit. Pour se rappeler tout le temps à la loi de ce pays qui est le leur aujourd’hui, tout le temps.
Elle part se marier au bled et on lui fait la fête et on lui fait les cadeaux, tout ça.
Le mois de septembre arrive et j’ai un grand qui vient au bureau et il me dit mais : « C. est là, le mariage a capoté. » Je dis : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Il me dit : « A-M, je ne sais pas. Mais de toute façon, c’était un drôle de mariage parce qu’ils sont tous du même coin, dans le quartier, en Tunisie, ils sont tous du même coin. Déjà je les ai aidés à remplir la voiture. C’était bizarre parce que quand elle remplissait, elle remplissait avec tous les cadeaux qu’elle a eus ici et ça mère lui disait : « Ah ça tu le laisses là, tu n’as qu’à le laisser là. » Ça ne se fait pas, A-M chez nous. Et puis quand on est arrivés là-bas, normalement toutes les filles de la famille, les voisines sont là pour accueillir la future mariée et il n’y avait rien. C’était vachement froid et le mariage a capoté. » J’appelle C. sur son portable, je dis : « C., je sais que tu es là. Descends me voir, descends me voir. » Et elle est descendue. J’en avais les larmes qui me montaient aux yeux. J’ai une jolie femme amaigrie, livide, honteuse et elle pleure. On ferme la porte du bureau et on parle toutes les deux.
C’est ma petite… enfin voilà… Je lui dis : « Mais (elle a 24 ans) prends tes affaires. Casse-toi ! » je lui fais « Casse-toi ! Je t’emmène si tu veux. On s’organise, va le rejoindre ! » Parce que ce garçon qui lui a été présenté dans le cadre d’un mariage arrangé, ils sont tombés amoureux. Ils s’aiment tous les 2 et la mère ne veut plus le voir. Elle veut qu’elle divorce, elle veut…

Interviewer : C’est pour ça qu’il avait capoté le mariage ?
AMG : La mère n’en voulait pas de ce mariage. Après il y a une histoire d’argent. Les familles ne s’aimaient pas. On s’en fout quoi… j’ai eu des explications. Et tout le quartier en parle. La petite elle est recluse chez elle.
Au moment où je lui dis : « Va-t-en ! », elle me regarde, elle me dit : « Non A-M, je partirai la tête haute. »
Ça veut dire je partirai avec le oui de ma mère, la tête haute, pas comme une voleuse.
Elle est partie un an après, avec la tête haute.
Elle habite à Grasse et entre temps on l’a récupéré nous, professionnellement parlant, on lui a fait passer des diplômes. Quand elle a dû partir rejoindre N. à Grasse, elle a cherché du travail sur internet. On lui a fait faire des entretiens d’embauche, pour lui dire comment il fallait qu’elle se présente et tout.
Mais cette jeune femme est extraordinaire. Elle est intelligente. Elle est bien. Il fallait qu’elle réussisse et elle est partie. On l’a blindée, je lui ai dit : « Tu as vu ils vont te demander si tu as fait des camps. » Et moi je l’avais emmenée sur ce camp de neige. Et tu dis : « Bien sûr, d’ailleurs le dernier. » Mais elle faisait : « A-M, je n’ai fait que celui- là ! »-« Mais tu t’en fous. Justement, ne parle que de celui-là, puisque tu n’as fait que celui-là. Tu dis oui, des camps j’en ai fait, d’ailleurs le dernier… Tu racontes ce que tu as fait au dernier. D’ailleurs, tu as été excellente. Ce n’est pas de ta faute si tu n’en as fait qu’un. Tu n’es pas obligée de le dire. »
Et elle a décroché un poste de directrice d’une petite structure. Elle a continué à passer des diplômes.
Aujourd’hui elle est maman. Et ça c’était une belle histoire.
Et mon erreur à moi de boucan, de claquer les portes… C. m’a donné une bonne leçon.

Interviewer : Oui, au fond elle a fait ce qu’elle a voulu tout en respectant…
AMG : Et j’en ai reparlé à sa maman de ça.

Interviewer : Comment est-elle arrivée à accepter la maman ?
AMG : Elle a compris. Elle a ouvert sont cœur. Elle n’était pas si terrible que ça cette maman, parce que, peut-être, elle avait une histoire de vie.
Après, je ne suis pas rentrée dans tous les détails.
Un jour je lui ai dit : « S. ! » Elle travaillait à Gaspard. Un jour je reçois un texto. On était en réunion : « A-M, je ne suis pas bien. Je ne vais pas bien du tout. Je ne viens pas travailler. J’en ai marre. Je vais faire une bêtise. »
Et là, je prends la colère et j’appelle sa mère et je lui dis : « Ecoute-moi bien S. ! Un jour tu vas rentrer des courses, ta petite tu vas la trouver en bas de la tour. Elle se sera jetée par la fenêtre. Ecoute-moi bien ! Je ne te le pardonnerais jamais ça ! » J’étais en colère.
On a reparlé de tout ça avec S. et je lui ai dit : « Tu sais que j’ai dit à ta fille de se casser ? De partir rejoindre son mari ? » Elle me dit : « Je le sais A-M, mais je ne t’en veux pas parce que toi tu ne connais pas notre culture. »
Et j’ai réussi à lui dire ce que…

Interviewer : Ça a dû quand même la faire réfléchir.
AMG : J’espère.