Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Habitante de la cité Berthe à La Seyne-sur-Mer
Qualité du son : bonne
Interviewer : Comment avez-vous rencontré votre mari ?
Madame : Au mariage de sa cousine. Sa tante, c’est la sœur de ma tante. Il m’a fait rigoler. Après, il a demandé à ma tante : c’est qui la fille avec toi. C’est la famille. Après, il est venu demander ma main.
Ça fait cinq ans qu’il n’est pas rentré en Tunisie, c’était l’année où il m’a demandé ma main. Il vit en France, il ne rentre pas en Tunisie souvent. Pour lui ce n’est pas important.
Interviewer : Né en France, est-il différent de vous ?
Madame : Non. J’ai trouvé quelqu’un de sérieux, gentil. Je l’ai accepté, je n’aime pas un minot qui n’est pas posé. Il est bien.
Petite, je rigolais tout le temps. Mais dans ma tête, je voulais me marier avec quelqu’un de sérieux. J’aime qu’il pense loin. J’ai trouvé l’homme qu’il faut.
Interviewer : Avez-vous eu d’autres histoires avec des garçons en Tunisie ?
Madame : Oui, à quinze ans, seize ans. C’est l’adolescence. Je ne disais pas à mes parents. Un seul. J’étais au lycée.
Interviewer : Vous connaissiez l’existence des chantiers navals à La Seyne ?
Madame : Non, c’est où ? Ah, les bateaux, oui, mon mari une fois m’a dit que son copain est tombé malade là-bas. Un produit.
Interviewer : L’amiante ?
Madame : Oui.
Interviewer : A part ça, qu’est-ce que vous savez des chantiers ?
Madame : Je ne sais rien.
Interviewer : Est-ce que vous saviez des choses de La Seyne, avant de venir ?
Madame : Non. Je n’ai pas posé de questions. Je sais pas pourquoi. Au début, mon mari n’avait pas de maison, on habitait chez ma belle-mère. C’était la première fois. Au début, le jour où je suis rentrée en France, ma belle-mère m’a dit, on va aux Sablettes .... Après, on est venus ici [à Berthe], j’ai dit c’est quoi ça ? Ce n’est pas la France ! Elle m’a dit où tu crois que tu habites ? C’est ça la France ! Je suis restée un peu choquée. Je vois les grandes tours. Après j’ai pris l’habitude.
On a pris une maison derrière la mairie, parce qu’on n’a pas trouvé de HLM. Je suis restée un an, tout le temps je pleurais, je ne connaissais personne. Les gens passent, que des français, pas d’arabes. Quand on a pris une maison ici, j’étais trop contente. C’est pour ça que j’ai dit à mon mari, je veux acheter une maison ici, à La Seyne, pas à Sanary, Bandol, les Sablettes, non, ici. Je sens que je suis près de ma famille. Mais pas ici dans les bâtiments pourris.
Je me sens bien, je vois mes amis. Ma cousine et ma copine. On est tout le temps ensemble.
Interviewer : Dans cette maison vous étiez seule ?
Madame : Oui. Chez moi, on a la famille. Chez ma belle-mère aussi, tout le temps on mange ensemble. Dans cette maison, je restais seule, mon mari rentrait, je pleurais. Je ne veux pas rester seule, c’est trop dur pour moi.
Interviewer : Parfois, aviez-vous envie de retourner en Tunisie ?
Madame : Non ce n’est pas ça. J’aime vivre à côté de la famille, des copines, de ma belle-mère… Un an après, j’ai trouvé cette maison.
Madame : Coffreur dans le bâtiment, travaux du midi, grosse boite. C’est un peu fatiguant, mais il aime trop son travail. Jamais il me dit je suis fatigué, tout le temps il se lève, même seul, à 5 heures, il boit le café.
Madame : Au début je me disais : regarde mon mari, il est fort, pourquoi moi je ne rentre pas dans une formation, je fais une remise à niveau… Il m’a donné la force. Il ne me dit pas : fait, fait. Mais quand je vois mon mari travailler, je me dis : peut-être il pense que je suis venue du bled, c’est la mentalité comme au bled, rester à la maison avec les enfants… peut-être il va changer, prendre une fille de France, elle bouge, elle veut travailler. Lui, il me dit : fais comme tu veux.
Interviewer : Vous avez l’impression que c’est pas bien vu de venir du bled, qu’il faut faire des efforts ?
Madame : Oui, au début je pensais trop à ça, s’il me dit : regarde les femmes, ça va me faire peur et mal, c’est pour ça, je fais avant qu’il me le dise.
Maintenant, je sens qu’il est fier de moi. Je fais cette formation CAP cuisine, je fais les devoirs, je lui montre les notes, il me dit c’est bien.
Interviewer : Au début c’était difficile d’étudier ?
Madame : Oui, ça fait deux ans et quelques années que je n’ai pas fait d’études. En plus toutes mes amies sont à la maison. Elles ne veulent pas faire de formation. Elles préfèrent faire des enfants et rester à la maison.
Interviewer : Des fois c’est difficile d’expliquer votre point de vue ?
Madame : Oui, tout le temps je m’explique. Les gens disent : pourquoi tu fais une formation, reste à la maison…. J’explique, je dis : pour moi, non. C’est bien, un enfant, pour… quelqu’un te dit : t’as des enfants ? Tu dis oui. Mais, après, je sens que je suis une femme pas comme ça, une femme qui a un but dans la vie. Tout le temps je l’explique aux gens. Ils disent niveau CAP c’est rien. Ils disent elle fait une remise à niveau pour les sous. Moi, ça m’intéresse pas les sous, mon mari travaille, on est ni riches ni pauvres, on est nickel.
Je veux être une femme comme Nazia. Tout le temps, dans ma tête… c’est un exemple. Il y a des gens, nés ici, ils n’ont pas fait comme elle. Elle est courageuse. Pour nous tous, quand elle parle, elle nous pousse à bouger. Elle te fait sentir que tu es forte et que tu peux faire mieux. Elle m’a poussée à y arriver. « Tu peux ! »
Interviewer : Par rapport aux enfants, que dit votre mari ?
Madame : Moi je choisis, il dit rien. Il a dit : c’est ta vie, c’est toi qui diriges. Si tu veux travailler, travaille, si tu veux faire des enfants, tu fais.
Si tu trouves une solution pour ton fils, c’est bien. Mon fils est à la crèche, depuis septembre. A la rentrée, il rentre à l’école. Pour moi c’est mieux, il y a une garderie le matin et le soir.
Interviewer : Vous passez votre CAP en juin ?
Madame : J’espère. Je ne peux pas maintenant chercher du travail. Je vais déposer mon CV à la mairie. Je veux travailler dans les collectivités. Peut-être que je vais faire une autre formation d’auxiliaire de vie. Je profite que j’ai moins de 26 ans pour la passer avec le GRETA, c’est bien. Pour travailler dans une collectivité, c’est bien d’avoir un diplôme de restauration.
Interviewer : Vous amenez parfois votre petit au parc, là où il y avait les chantiers ?
Madame : Oui tout le temps, je ramène mon fils là-bas.
Le parc est trop bien, j’aime bien, je me sens bien là-bas, il est moderne. Il n’y en a pas d’autre à la Seyne. Il n'y a que les Sablettes ou Toulon.
Il n’y a pas beaucoup d’ombre, c’est vrai. Mais pour jouer, ça va. Quand on reste manger, on ne trouve pas l’ombre, on cherche un petit arbre.
Interviewer : Vous savez ce qu’il y avait ?
Madame : Avant, il n’y avait rien, non ? ...
Madame : Avant, j’habitais là où ils ont fait le parc... L’endroit je n’aimais pas, trop vieux. Maintenant, c’est trop beau. Avant, il n’y avait que des vieux bâtiments. J’ai oublié, ça fait longtemps. Un truc comme ça, de l’eau, comme une piscine. Avant, je n’aimais pas trop, je n’y allais pas souvent.
Maintenant on y va avec mon fils, tous les samedis quand il fait beau. Avant, quand j’habitais là-bas, je n’aimais pas, je ne me sentais pas bien, pas à l’aise. Maintenant, il y a plus de trucs, j’aimerais bien habiter là-bas, pas comme avant.
Interviewer : Vous pourriez vivre ailleurs ?
Madame : Non, j’ai pris l’habitude ici. Je n’aime pas Toulon. On cherche une maison ici, à La Seyne.
De nouveaux bâtiments, près de la sécurité sociale ou à La Seyne centre, je ne cherche que là-bas.
Je me trouve mieux maintenant, il y a beaucoup de trucs. Le parc, c’est le mieux.
Interviewer : Quelle est le parcours de votre grande sœur ?
Madame : Elle est bien. Elle a trois enfants. Elle travaille, elle est conseillère de vie. Elle s’est mariée tôt, à 18 ans. Elle n’a pas eu de difficultés avec l’école comme moi.
Interviewer : Pourquoi, vous n’aimiez pas l’école ?
Madame : Comme ça. Maintenant c’est le contraire, j’ai changé. Mes parents sont fiers de moi. La famille dit : elle fait quoi ? On dit qu’elle est à l’école. Ils attendent le résultat du CAP, même ma grand-mère.
Madame : Travailler dans les collectivités, dans les cantines. C’est dur.
Ce n’est pas pour le diplôme. Si tu travailles bien, c’est clair tu vas l’avoir. Je voudrais chercher dans les collectivités, je ne trouve pas, c’est dur.
Interviewer : Vous êtes prête à vous déplacer ?
Madame : Mon mari travaille ici, je ne peux pas. A Toulon, à Hyères, je peux. Mais y habiter, non.
Interviewer : Pourquoi souhaitez-vous travailler ?
Madame : Moi, je me sens bien si j’ai un bon travail, un truc dans la vie.
Si je ne trouve pas de travail, je vais faire d’autres formations, mais si je trouve le travail que je voudrais, c’est mon rêve, travailler dans les collectivités surtout les cantines, comme ça j’ai les vacances, pour mon fils. Quand je trouverai ce travail, je me sentirai bien, j’ai réalisé mon rêve. Pour trouver, je ne sais pas. Je vais donner mon CV à la mairie et j’attends.
Interviewer : Qu’est-ce que vous allez faire avec votre salaire ?
Madame : Je ne sais pas. Mon stage, je l’ai mis de côté. Ça ne sert à rien. Mon mari, il fait tout, le pauvre. Mon salaire, je ne pense pas tout mettre de côté, j’aide un peu, parce que tout devient plus cher, comme la cantine, les impôts.
Interviewer : Vos parents n’ont pas besoin que vous les aidiez ?
Madame : Non, mon père est artisan, on est bien en Tunisie, on a pas de problèmes de sous.
Interviewer : Quand vous rentrez, qu’est-ce que vous racontez aux tunisiens sur la France et sur La Seyne ?
Madame : Il y a des gens qui disent : la France est dure, difficile. Moi je dis elle est chère, mais c’est trop bien de vivre en France. Au début j’ai dit : c’est quoi ça ? Après, j’aime bien.
Je dis : elle peut être dure la France, mais c’est bien de vivre en France. Mais je dis : tu ne trouves pas les sous par terre, il y a du bon, il y a du mauvais. Je ne mens pas, ce que je sens, je le dis. Moi je me sens bien avec mon mari, mon fils, j’aime bien cette vie. Je dis la vérité. Si tu ne travailles pas, tu n’as pas de sous. Si tu travailles, c’est bien.
Madame : Je me sens trop bien ici, je peux ne pas vivre en Tunisie. Si mes parents étaient là, je n’y retournerais plus.
Je me sens tunisienne, quand même. Je ne sais pas bien parler français, mais la mentalité de la Tunisie, non. Je me sens une mentalité française.
Interviewer : C’est comment la mentalité tunisienne ?
Madame : Timide, tu ne peux pas parler comme tu veux.
Avec mes parents, on ne peut pas parler des garçons. Je ne peux pas parler avec mon père de mon copain. Punie, tu ne sors plus. Ce n’est pas pareil qu’ici.
Et pour mon fils, je parle français à la maison, je fais Noël, le sapin, les cadeaux. Je fais les trucs tunisiens aussi, le carême, l’Aïd. On vit ici. Je fais ça pour mon fils. On habite en France. Moi je pense comme ça, d’autres mamans non. Moi, c’est mon fils qui m’intéresse, si son copain lui dit des trucs, il rentre à la maison triste.
Il ne sait pas parler arabe mon fils. Tu peux dire quelque chose, il comprend. Mon mari m’a dit c’est mieux tu parles français, comme ça tu prends l’habitude. Quand je suis rentrée, je ne savais pas parler.
Mon fils est à l’école, obligée on fait les devoirs.
Interviewer : Votre mari parle arabe ?
Madame : Non, français. Il comprend et il parle l’arabe cassé. Comme nous, le français cassé.
Interviewer : Vous allez faire une demande de nationalité française ?
Madame : J’ai fait la demande, l’entretien à la préfecture, j’ai déposé les papiers. J’ai répondu et tout, elle dit franchement tu te débrouilles bien en français. J’attends la réponse. Normalement, 8 mois.
Interviewer : Pourquoi vous voulez avoir la nationalité française ?
Madame : Parce que je me sens bien ici, premier truc.
Et deuxième truc parce que mon mari et mon fils, obligé je vais aller avec mon mari.
Troisième truc, je vais chercher un travail dans les collectivités. Avec la mairie, si tu n’as pas la nationalité, ils ne vont pas t’embaucher.