Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Fille d'un horloger-bijoutier de La Seyne-sur-Mer dès 1962
Qualité du son : bonne
[...] On a très bien vécu notre arrivée à La Seyne, on a été très bien reçus. C’est vrai qu’il y a eu des conflits entre jeunes seynois et Pieds noirs, comme il se passait au début, mais après ça s’est relativement calmé quand on s’est bien connus et fréquentés.
[...] Mon père, il s’est fait des amis sur le marché. Le marché était beaucoup plus beau qu’aujourd’hui, vu que c’était tous les jours jusqu’à 13 heures.
Il y avait 3 grues. Tout fonctionnait, même le pont de La Seyne, le fameux pont que tout le monde refuse qu’il parte parce que ça c’est les chantiers, c’est ce qui fait La Seyne, il ne faut pas que ça disparaisse ça. C’est une valeur pour les ouvriers et pour La Seyne. Le train passait, il allait à la DCAN, il venait de la gare de La Seyne et il passait porter le matériel aux chantiers et il repartait avec le matériel qu’il devait couper ou faire. C’était surtout pour la marine, ils allaient à La Ciotat, ils travaillaient en concert avec les chantiers de La Ciotat.
[...] Il y a eu les espagnols pendant la guerre, puis nous, les Pieds noirs.
[...] Il y avait des commerçants partout.
[...] Avant la fermeture, le marché était vivant, il y avait du monde, la fête du 14 Juillet durait du 3 juillet au 15 Août, c’était les feux d’artifice, c’était les fêtes, la retraite aux flambeaux, la fête de l’humanité à Fabrégas, il y avait des chanteurs qui venaient, la fête de l’humanité était connue à La Seyne. C’était une ville communiste. La Seyne marchait très bien, les commerces marchaient très très bien.
[...] 1 habitant sur 3 était au chômage par rapport à la fermeture des commerces et des chantiers, ça a tué le travail à La Seyne.
[...] On sortait, on allait à la plage, il y avait les cinémas qu’il n’y a plus. Il y avait 3 salles de cinéma et 1 théâtre. A la place de la poste et de la banque populaire, il y avait un cinéma et un théâtre. (...) tous les cinémas de La Seyne étaient très fréquentés c’est quand les chantiers de La Seyne ont fermé qu’ils ont été obligés de fermer. (...) Il y avait un beau square à côté du France avec des beaux magasins autour mais il n’y a plus tout ça, même le France a fermé.
[...] Les jeunes avaient de quoi s’amuser, il y avait même un cinéma en plein air aux Sablettes et un bal à La Seyne.
[...] Le maire ne voulait pas à l’époque, donc ils l’ont fait eux-mêmes et comme ça faisait joli et ça attirait du monde, la ville les a finalement mis. (...) A l’époque des chantiers les commerçants étaient privilégiés, on leur demandait ce qu’ils voulaient faire.
[...] Il y a eu 2 générations d’ouvriers qui étaient contents de travailler aux chantiers, ils faisaient rentrer leurs enfants, leurs neveux,… avant ça se faisait. Il y avait des stagiaires…
[...] J’en ai pas connu beaucoup. Ils se faisaient en dehors du port, on pouvait le voir de loin mais moi je n’ai jamais assisté aux lancements de bateaux, c’est dommage. Quand il y avait des lancements de bateaux à Toulon, il y avait des retours de vagues à La Seyne. J’ai assisté de loin à un lancement de bateau, j’étais à la collégiale à Six-Fours et j’ai vu de loin un lancement de bateau, de loin c’était beau mais je n’ai jamais vu de près.
[...] Je parle des chantiers parce que mon père était commerçant et ses principaux clients étaient les gens qui travaillaient aux chantiers. Ils discutaient beaucoup avec mon père et mon père, comme tous les gens qui avaient des enfants, il ne se mêlait pas de la conversation des grands. Moi j’ai été au courant des chantiers et de ce qui s’y passait quand j’ai été mariée parce qu’avant, avec mon père, il ne fallait pas que l’on parle à table, c’était les grands qui parlaient, les enfants n’avaient pas leur mot à dire.
[...] Les femmes ont retrouvé du travail dans les écoles en tant que cuisinières, aides-cuisinières, dans la scolarité... La mairie a créé beaucoup de petits boulots...
[...] Finalement celle qui a beaucoup perdu c’est la femme, parce qu’elle ne s’entendait plus avec le mari. Le mari était au chômage, les femmes en avaient marre d’aller, elles, travailler alors ça fait des conflits avec les femmes qui ont cherché du boulot et voulaient travailler pour elles, pour avoir la sécurité sociale pour leurs enfants, la mutuelle, etc...
[...] En ville on entendait que les chantiers étaient finis, que c’était la mort de La Seyne. Je n’entendais que ça.
[...] C’était la débandade, il n’y avait plus d’amis. C’était le système démerde. Celui qui s’en sort la tête haute ne disait rien aux autres. Par exemple, j’avais un ami qui a divorcé d’avec sa femme parce qu’elle ne pouvait plus le voir au chômage et en plus il a carrément chuté, il s’est mis à boire… Il est descendu en flèche, il est mort avant ses 40 ans, suite à la fin des chantiers.
[...] Mon fils est né le 19 novembre 1970, ma fille, Gabrielle est née le 8 septembre 1972 et les jumelles le 30 mai 1975. Mon mari travaillait à béton chantier, il à d’abord travailler dans un garage puis dans une entreprise de boissons. Il était chauffeur poids lourd, il a été décoré pendant son service car c’était un chauffeur d’élite de l’armée de l’époque... Il pouvait faire rouler tous les engins.
[...] Ça vivait, c’était une ville qui était vivante.
[...] Il y avait sur le port 3 boulangeries, 2 épiceries, 1 glacier, 1 cinéma à la place de Charlemagne.
[...] Ils étaient contents de travailler aux chantiers, ça marchait du tonnerre. Ils gagnaient très bien leur vie. Mon ex-mari était chauffeur poids lourd il disait : « Je vais partir travailler aux chantiers parce qu’ils gagnent mieux que moi. »
[...] Les deux tiers des gens que je connaissais ont divorcé. Il y a eu des situations graves au point que quelques-uns sont devenus SDF, la femme était partie avec les meubles, les enfants, avec tout et ils se sont retrouvés avec rien.
[...] Il n’y avait plus de fête, il n’y avait plus personne, ça a été fini en ville. Puis le jour où Mammouth à été ouvert, La Seyne a été fichue.
[...] Le Père Noël passait avec des poneys et distribuait des bonbons aux enfants, c’était éclairé de partout. Les vitrines étaient magnifiques.
[...] On descendait, les enfants se déguisaient dans les rues, on leur donnait des bonbons... Il y avait un monde fou, c’était animé… Ça fait 8 ans qu’il n'y a plus rien.
[...] Il n’y a plus rien à La Seyne, La Seyne est fichue. Avant les femmes descendaient sur les marchés, il y avait des cars. Les commerçants du cours se sont battus pour faire mettre des lumières de Noël sur l’avenue et pour que le marché soit 3 jours avant le réveillon, le 22, le 23 et le 24 et même le 25 au matin les commerçants ouvraient et il y avait le marché de Noël. C’était animé, il y avait du monde, il y avait la messe, les gens vendaient le gui devant l’église. Pour pâques il y avait les enfants avec les flambeaux, il y avait la retraite aux flambeaux l’été, les fêtes du 14 juillet, les fêtes du 15 août, il y avait même des processions en mai.
[...] Si je n’avais pas de la famille je serais partie depuis longtemps. Je serais retournée en Algérie. Je n’ai jamais pu y retourner, mais je pense que j’aimerais finir ma vie là-bas. Ça me manque... J’aimerais surtout voir l’Algérie maintenant avec mes yeux d’adulte parce que je suis partie avec des yeux d’enfant. J’ai vu tellement de tueries, je suis mal partie. On est mal partis d’Algérie, on est partis avec une idée fausse, on a été trahis.
[...] On était heureux, mais on ne le savait pas.
[...] On est restés 3 jours à l’aéroport d’Oran et le FLN enlevait les garçons. Mon frère avait 14 ans à l’époque, il a fallu qu’on le cache sous un banc. Ils attendaient qu’on dorme pour les enlever.
[...] Il y a eu trop de mélanges mal faits.
[...] Le travail, ce n’est plus comme avant. Avant il y en avait... moi si je quittais le Poggiolli, je pouvais aller chez Peche, ou n’importe où.
[...] Ils y ont été vaccinés, il y avait un pédiatre, un ORL, des infirmières de qualité. Je m’y faisais soigner les dents, il y avait un radiologue. Je trouve que c’était bien. Ça évitait de s’engouffrer dans les urgences des hôpitaux et des cliniques. Mais il n’y a pas assez de travail, il y a de plus en plus de malades et pas assez d’infirmières et plus de médecins.
[...] Maintenant le jeune qui veut s’en sortir à La Seyne il faut qu’il ait les reins solides. Qu’il ait papa et maman derrière qui foncent. Les jeunes s’en vont, dans 20 ans à La Seyne, il y aura une majorité de personnes âgées.